Herzog relit le mythe du vampire à la lumière d’un crépuscule de désespoir : tout ici semble pris de décrépitude, et les êtres mi humains mi spectraux et les décors faits tantôt de ruines ranimées par la nuit tantôt d’un urbanisme pictural qui rappelle les plus belles toiles des maîtres hollandais. Ici pas la moindre goutte de sang : les corps sont morts ou se meurent dans une agonie bruyante : les rats pullulent, les loups hurlent, la cascade gémit une mélodie imperceptible. En suivant notre protagoniste principal, interprété par Bruno Ganz, règne une impression d’étrangeté où l’homme se trouve raccordé à son isolement premier dans la nature. Et qui dit nature dit temps et fuite du temps : une horloge vient sonner minuit, l’eau coule sans entrave, le sable est soufflé à rebours des pas du vampire, comme symbole d’une vie éternelle source de solitude, de profonde tristesse et de mort intérieure. Les visages sont plaintifs, pâles ; ils incarnent ces plâtres initialement exhibés en guise de générique. Pourtant Werner Herzog les change en âmes tourmentées d’une profondeur émotionnelle troublante, incarnées par des acteurs au sommet de leur art. Nosferatu, Fantôme de la nuit narre de la plus envoûtante manière qui soit la transmission d’un fléau à l’origine du mythe du vampire : l’immortalité.