Nosferatu est plus qu'un simple chef d'oeuvre. L'importance de ce film dans l'histoire cinématographique de l'Europe est capitale. En particulier chaque apparition de Max Schreck donne des images célébrissimes et se retrouve dans tout livre sur le cinéma.
Mais un film important n'est pas forcément un bon film. C'est là qu'intervient Murnau, immense cinéaste qui avait l'art de transformer ses films en oeuvres esthétiquement splendides et intellectuellement stimulantes. Et c'est le cas avec Nosferatu.
Le film est basé sur une série d'oppositions binaires :
_ opposition entre la santé et la maladie. Dans le film, la peste a quasiment plus d'importance que le vampire. Hutter qui sombre dans la maladie (mentale ?), les matelots qui succombent, l'ombre de Nosferatu qui plane sur un navire de pestiférés, etc. Le vampire n'est pas seulement dangereux par ses morsures : il représente un mal plus diffus, il est dans l'air, ça le suit partout où il va comme une traînée putride. Murnau, par ses remarquables effets spéciaux, nous montre l'esprit du vampire qui menace les hommes. Il nous fait sentir ses maléfices.
_ opposition entre nature et civilisation. Le film montre à quel point les forces de la nature sont loin d'être maîtrisées : rats, maladies, plantes carnivores dont les terrifiantes mâchoires se referment irrésistiblement sur sa proie... Nosferatu symbolise alors toutes ces forces incontrôlées qui menacent constamment l'homme. Et, au-delà, l'opposition entre la nature et la civilisation se fait aussi en chaque homme. Ainsi, l'affrontement entre Nosferatu et Ellen, à la fin, c'est le duel entre le vice et la vertu. Max Schreck, avec son visage rappelant un rat, conforte encore cette impression d'une nature menaçante.
_ opposition, bien sûr, entre la lumière et l'ombre (splendide ombre du vampire qui se glisse sur les murs vers sa proie). Des concepts, bien sûr, à prendre aussi sur un plan plus symbolique comme l'affrontement entre la science et la superstition.
La dimension symbolique, voire même mythologique du film est donc une évidence. Cette peste renvoie aux grandes histoires médiévales, voire antiques (Oedipe). Et voir le marin s'attacher au gouvernail du navire m'a fait immédiatement penser à Ulysse.
Je suppute aussi qu'il pourrait y avoir une dimension sociale au film : Nosferatu, c'est l'exclu, celui qui est obligé de s'isoler socialement parce qu'il vit hors des règles de la société. Le marginal qui s'en prend aux fondements même de cette société : le couple, la famille (mais aussi le commerce, représenté par le navire). [enfin, là, c'est une interprétation toute personnelle]
Le film est un peu lent sur le milieu. On y retrouve les défauts habituels des films muets : exagération des gestes et des expressions des acteurs. Mais surtout, c'est un film expressionniste, avec toutes les caractéristiques du genre : absence de réalisme, maquillages outranciers, personnages laids, jeu sur les ombres, thème de la folie et du meurtre, etc.
Une oeuvre centrale, un pivot du cinéma allemand, et donc européen par la même occasion.