Valérie Donzelli est Maud Crayon. Comme elle, pendant que son personnage est à la fois mère, architecte, amante encore attachée à un ex indétachable et amoureuse d’un autre ex encore amoureux, elle court beaucoup, est à la fois actrice, réalisatrice et co-scénariste de son sixième long-métrage. Comme Maud, qui s’évanouit à la moindre occasion, tombe enceinte ou remporte des concours architecturaux tout aussi facilement, aime à ne plus savoir où donner de la tête, entend protéger, construire et se sauver elle-même tout à la fois, la réalisatrice imprime à son film son style fantasque, enlevé et l’impossibilité de renoncer au moindre des genres affectionnés ; c’est ainsi que la comédie se mêle à la fantaisie, la réflexion sur la société à la comédie musicale, l’absurde au film sentimental...
Au service de cette hybridation des genres, une galerie de portraits tous plus singuliers les uns que les autres : Pierre Deladonchamps en journaliste incisif, aussi affûté dans l’art de la reconquête que dans la plaidoirie improvisée. Thomas Scimeca en ex lacrymal, l’œil battu et les cheveux pendouillant à la manière de deux longues oreilles de cocker. Virginie Ledoyen et sa belle voix grave en « tata » des petits, gynécologue de son état et aussi prompte à s’enflammer que sa sœur. Bouli Lanners en collègue sympathique, aussi adorable que secourable. Samir Guesmi en chef tyrannique et colérique, aussi roublard que sadique. Isabelle Candelier en double à peine déguisé et désopilant de celle qui règne actuellement sur Paris. Philippe Katerine en adjoint larbin non moins réjouissant... Tout ce joli monde évolue dans les couleurs pimpantes de la décoratrice Gaëlle Usandivaras, recueillies par la photographie précise de Lazare Pedron.
Une agitation qui peut lasser par moments et abandonner passagèrement le spectateur sur le bord du chemin, mais qui le happe le plus souvent dans son tournoiement. Les dialogues, vifs, spirituels, que l’on devine coécrits dans une belle complicité avec Benjamin Charbit, côtoient les mêmes gouffres, mais font mouche, la plupart du temps, atteignant parfois, par saillies rapides, un absurde presque beckettien. Mais si cette dimension théâtrale et percussive est conviée, à l’image d’une société ayant atteint un degré d’agressivité tel que les gens se gifleraient sans raison dans la rue, le rêve, ou plutôt la fantaisie font part égale avec cet aspect plus inquiétant. En effet, comme dans les tableaux de Chagall, on vole beaucoup ici, que ce soit une maquette ailée transportée par un grand vent magique sur la table d’un concours ou deux amants très épris, enlacés sur leur vélo. Une prise de hauteur et de distance qui permet au film de clore sur une note optimiste et, pour nous, de conclure en paraphrasant une chanson du regretté Bashung dans son album « Chatterton » : la donzelle « plane autour des tours de Notre-Dame »... Puisque, témoin des aventures de « not’ dame », ainsi que les paysans de son Berri nommaient George Sand, se dresse la haute et fière silhouette de la cathédrale qui était alors encore intacte...