Premier film de King Vidor que j'eus l'honneur d'apprécier et ce fut un vrai ravissement pour mon petit coeur et mes petites mirettes. Notre pain quotidien est un western contemporain (du moins, à l'époque où il fut tourné). Toutes les bases de ce qui a fait la grandeur et la puissance du western ne retrouvent ici : la recherche d'une terre, la création d'une société et comment se battre pour la sauvegarder. Ici, on part sur un principe coopératif, voire même communiste : la terre n'appartient qu'à celui qui la travaille.
Et comme d'habitude chez King Vidor, on suit le destin hors normes d'un quidam qui va se révéler grâce à la foule (le titre d'ailleurs de l'un de ses plus grands films de l'époque du muet) qui va le transcender et l'ériger quasiment en position de démiurge. Toute la problématique du film -et du cinéma même de King Vidor- est de savoir comment trouver sa place dans une société castratrice, où chacun est noyé dans une masse informe qui ne doit bouger que pour faire fructifier le capital de ceux qui dirigent la foule. Qui n'en fait pas parti est soit un marginal qui n'a le droit à rien, soit le grand patron ayant le droit à tout. Et l'objectif des personnages principaux de Vidor est toujours de se transcender, d'aller plus loin et plus haut que les autres pour briller et faire avancer cette fameuse foule. C'est l'essence même de l'esprit, de l'inconscient populaire américain. N'est donc pas plus amerloque que le cinéma de King Vidor.
Ici, le personnage principal hérite d'une ferme délabrée et d'un bout de terre avec sa femme. Devant l'ampleur du travail à accomplir, ils décident d'employer tous les chômeurs qu'ils croisent (nous sommes dans l'Amérique de la dépression, en plein new deal) pour fonder une coopérative et jouir des talents de chacun qui feront vivre leur communauté. Une mentalité qui évoluera chez Vidor, de film en film, jusqu'à ce que son propos en devienne même l'exact contraire dans l'un de ses derniers films, l'un des plus importants de sa filmographie : Le Rebelle.
Vidor met son propre argent en jeu pour réaliser et produire cette ode à la fraternité. On retiendra la scène où la communauté se joue du grand capital en rachetant la ferme mise aux enchères pour même pas deux dollars, puisque personne ne propose plus. Une scène formidablement bien servie par les dialogues du jeune Mankiewicz qui ne manque jamais de se montrer drôle, concis, Vidor lui rend d'ailleurs hommage avec une mise en scène dynamique, où les acteurs jouent avec un rythme très soutenu.
C'est l'histoire d'un groupe soudé. Vidor ne filme que peu de gros plans, son découpage se joue plutôt dans la manière dont il fait évoluer la notion de groupe dans son cadre, relativement longs dans son montage, pour ensuite passer à des cuts plus rapides et à mettre en scène plusieurs groupes divisés dans plusieurs plans au moment de la rupture, lorsque la zizanie éclate au sein de la coopérative, quand ils ne parviennent plus à faire face aux problèmes, notamment celui de la sécheresse.
Rupture également excitée par l'arrivée d'une belle créature, qui vient ébranler la morale du héro, perdant espoir devant tous les obstacles se dressant contre lui. Il pense trouver du réconfort dans sa fuite avec la belle, mettant à mal son foyer avec une femme avec qui il ne couche pas, certes, mais dont la puissance repose sur bien d'autres vertus. La beauté de cette relation étonnament platonique (nous ne saurons jamais pourquoi) est sublimée par l'avortement de cette rupture, grâce à un bandit en fuite caché dans cette coopérative.
Au départ seulement présent pour être à l'abris, il se prend d'affection pour cette communauté. Il croit en ce projet et se désespère de le voir s'effondrer. Et il trouve une solution : celle de se rendre. Ainsi, notre personnage principal le livre au shérif et il se retrouve avec le pactole de la prime entre les mains. La communauté peut être sauvée. Mais notre héro est tombé amoureux de l'étrangère et il désire fuir ses responsabilités, qu'il juge trop lourdes pour ses seules épaules, dans les bras de cette créature. Lors de son trajet en voiture avec ce serpent désirant le faire croquer dans la pomme, Vidor insère au montage, en surimpression sur la route, le bandit qui arrête le personnage de la main. Cet effet de montage peut paraître suranné et naïf, ce qu'il est du reste. Néanmoins, cela fonctionne formidablement bien car cela nous permet de vivre l'expérience à la premiere personne. De plus, cet effet était encore novateur à l'époque, on ne peut donc que louer l'idée et l'efficacité de sa mise en œuvre. Le fait que ce soit un repris de justice qui se sacrifie pour sauver une communauté qui lui permet de se révéler comme un homme bon, ayant enfin sa place dans la société en payant pour ses exactions, est une idée formidable, comme Vidor n'aura de cesse d'en mettre en scène tout le long de sa filmographie.
Et comment oublier la scène finale, sublime, quand après avoir creusé une immense digue, ils parviennent à y verser l'eau de la rivière située à quelques kilomètres de leur plantation. On suit ce cours d'eau qui vient se déverser dans cette immense digue artificielle, avec ces hommes qui n'hésitent pas à repousser l'eau avec leurs propres mains quand elle déborde. Vidor filme des hommes qui prennent le contrôle de leur destin, avec les moyens du bord. Scène cathartique au possible, ce clou final, cette fin en apothéose, est parfaitement grandiose, splendide et nos aurevoirs à ces personnages sont emprunts d'un bonheur et d'une joie difficilement oubliable.
Notre pain quotidien est un film qui redonne foi en l'humanité.