Personne n'a rien contre la beauté. Mais elle doit être un résultat, produit par un travail dont chaque détail est personnellement pris en charge par une décision la plus affirmée et juste possible (consciemment ou non); en aucun cas elle ne repose sur un mélange diplomatique de choses plus ou moins entendues à l'avance, et encore moins une matière existante a priori, quelque chose qu'on pourrait même vendre comme un article. J'ai bien peur que cette soi-disante beauté que vend le film n'ait que peu à faire avec celle qu'il faudrait, qu'elle ne soit qu'une séduction qui d'ailleurs ne fonctionne que peu de temps, voire très peu.
L'histoire pourtant - toutes les histoires sont égales devant les dieux inégaux du cinéma - recèle certainement bien des potentialités. La petite sœur "adoptée", ses secrets, son supplément de savoir sur un père oublié et une famille éclatée, font peser pendant un certain temps quelque menace sur le récit et la cohésion familiale. Mais voilà, hormis ce personnage, et l'actrice tenue à la réserve par l'intrigue et par son talent aussi, le film est plongé dans un jus sentimentaliste, esthétisant qui malheureusement ne fait pas style ni langage original. L'intention du réalisateur est sans doute d'en rester à un évitement du drame, un comportement en accord avec la marche habituelle des familles et donc son sujet, mais il faudrait alors une mise en scène tout en suggestion, qui joue dans la profondeur du temps et de l'ombre, et un jeu d'acteur (d'actrices en l'occurence) un peu plus maîtrisé, moins "entendu" à l'avance, moins laissé à l'abandon même parfois - à des improvisations programmées selon des psychologies empruntées à d'autres sources que le film lui-même. De même que la comédie demande un sérieux sans faille, la comédie sentimentale demande une certaine "exigence" dans l'écriture, le jeu, tous les aspects de l'écriture jusqu'au montage. On en est loin.
Les trois actrices (jouant aux 3 sœurs) déroulent une sorte de petite comédie intérieure au film, faite de minauderies d'accords et de désaccords, de faux laisser-allers plus ou moins improvisés et qui, tout le monde en est sûr, doit faire rire ou sourire, émouvoir. Mais lorsque le conflit est inévitable au film, le jeu et la mise en scène font voir leur limite de façon terrible. Et de même, lorsque l'émotion enfouie, étouffant le personnage, doit surgir, on est très loin de la justesse, de la force nécessaire ou à l'inverse, rien ne justifie tant d'énergie à éjecter un cri qui ne s'est fait que très peu sentir en amont, si ce n'est par un dialogue qui a des airs de béquille, de rattrapage à ce que le film ne sait pas dire autrement.
Ces enrobages de petits mouvements de caméra ne suffisent pas à faire vivre quoi que ce soit, les différences de caractère entre les sœurs semblent des sortes de figures imposées, plus qu'une incarnation, encore moins une chose qui aurait 20 ans de vécu : la preuve en est que le film est obligé de leur faire évoquer une dizaine de fois des souvenirs d'enfance de manière assez malhabile, au lieu d'infuser une vie commune par petites touches. Et en règle générale, le dialogue se voit obligé à tout dire ou presque tant la profondeur du jeu et de la mise en scène est absente. Pour un film dont le sujet est familial, un film sur les arriérés émotionnels inhérent à toute vie de famille, cette absence est rédhibitoire.
Deuxième tentative avec ce cinéaste, deuxième grosse déception, à la limite de l'ennui, voire de l'insupportable.
Il est vrai qu'il est extrêmement difficile de marcher, ne serait-ce qu'un peu, sur les plates-bandes d'Ozu. La comparaison est terrible. La scène de l'enterrement au début est bien piètre. Et le gros plan sur la fumée, souligné par une réplique (que j'ai oubliée exactement), bien lourd : l'émotion y est visée selon un programme déjà vieilli et le réalisateur (monteur en l'occurence) est déjà assuré de son effet, mais le problème est que l'émotion juste ne supporte pas la planification, la recette déjà appliquée cent fois. La finesse de façade de Kore-Eda, que j'appellerai "acidulée" fait penser à un genre de "cinéma d'art et d'esthétique", où la vie que demande le cinéma est déjà en phase terminale.