Véritable maelström hallucinatoire formé d'images préexistantes Notre Siècle nous transporte, cinquante minutes durant, au coeur de la technologie spatiale de l'URSS des années 1980. En plein contexte de Guerre Froide et d'avancées techniques le confidentiel Artavazd Pelechian propose un poème filmique d'une puissance visuelle retentissante, évoquant son pendant américain : le spectaculaire et tourmenté Koyaanisqatsi de Godfrey Reggio, sorti la même année.
Aux incantations gutturales et aux mélopées menaçantes de Koyaanisqatsi Pelechian préfère des bandes musicales héritées entre autres choses du cinéma classique ( on reconnaît par exemple le célèbre thème des Feux de la Rampe de Charles Chaplin ), conférant à son moyen métrage des allures de conte passéiste. Plus qu'une simple projection futuriste des années à venir Notre Siècle retrace également, à l'image de son titre, tout un pan des décennies passées : entre images d'archives présentant les prémices de l'aviation et la conquête du ciel ( parachutages renvoyant au found-footage du bouleversant Zerkalo de Tarkovsky ) et enfin de l'espace le poème de Artavazd Pelechian apporte une dimension inédite au montage d'attraction propre aux théories de Koulechov : en conjuguant ses images préexistantes à une utilisation de bruitage fondamentalement rythmique le réalisateur arménien redéfinit l'enchaînement des plans, jouant à la fois sur la rupture et la continuité.
Parfois répétitif dans sa construction ( mais moins par souci de redondance que par effet de résonance ) Notre Siècle s'adressera à tout un chacun de manière propre. Moderne, libre et littéralement mis sur orbite ce documentaire unique cultive un lyrisme et une étrangeté d'un délicieux cachet esthétique. Une oeuvre faussement empruntée et émotionnellement inattendue qui - à la manière d'un morceau de musique - perdure encore longtemps après son visionnage. Magnifique.