On ne va pas se mentir, "Notre siècle" n'est pas le film le plus passionnant du monde à regarder. Muet, zébré de bribes polyglottes parfois incompréhensibles ou inintelligibles, d'un noir et blanc bleuté, peu ou pas narratif, poétique, documentaire et expérimental, le dispositif n'est pas sans lourdeurs et difficulté d'accès et le regarder chez soi dans le confort de son salon sur un écran d'ordinateur n'est pas chose aisée pour se passionner devant cet objet.
J'ai donc pris plusieurs heures et sessions de quelques minutes pour terminer cette presque heure de film, inégale mais pas inintéressante. Le début est très long, assez rebutant, puis quelques séquences emballent et la beauté étrange des images permet d'achever le voyage presque sans encombre.
Il s'agit donc pour ce cinéaste-poète arménien - que je ne connaissais ni d’Ève ni d'Adam - de se poser la question du plus vieux désir de l'homme : voler. Le point de départ et le point d'arrivée sont les mêmes : la conquête de l'espace. Le point de vue également, puisque le propos que l'on devine derrière les métaphores réitérées est éminemment pessimiste. L'homme n'est pas fait pour voler, il essaie, se plante, réessaie, se plante encore, et la conquête de l'espace n'est qu'un leurre et une source de souffrance et de désillusion.
Pour nous raconter tout cela sans paroles et sans histoires, le cinéaste se repose uniquement sur le montage, dans une tradition typiquement soviétique, qui emprunte autant à Eisenstein (les fameuses "attractions") qu'à Vertov (le côté documentaire plus les expérimentations) et qui produit parfois des cellules assez fortes. La musique est également bien utilisée dans l'ensemble avec de très jolis moments symphoniques et d'autres plus burlesques où le contrepoint didactique est assez saisissant. Film de montage donc, mais montage d'archives pour la plupart, glanées ici et là et d'une qualité variable, parfois presque illisible, parfois stupéfiante. Quelques plans de l'espace sont sidérants et rappellent immédiatement le récent Gravity, d'autres images particulièrement violentes d'accidents et de crash impressionnent assez. Amusantes également les visions des inventions successives de l'homme pour imiter l'oiseau. Mais la structure est répétitive; les métaphores mythologiques ou métaphysiques avec Icare - le cosmos - les volcans en éruption n'ont pas la puissance évocatrice d'un film de Kubrick ou de Tarkovski, références inévitables dans le domaine.
Dans l'ensemble, plutôt intéressant sur le plan théorique et esthétique, mais j'ai toujours un peu de mal avec l'expérimental dans la longueur. Singulier mais pas marquant.