Cette grande leçon de cinéma brille par sa modestie de départ. C'est une série B estampillée RKO, courte d'une heure 10, avec un budget restreint, adapté d'un long poème. Que faut-il pour écrire un beau poème comme The Set-Up dont est issu ce film ? De quoi retranscrire par les mots les émotions du poète. Robert Wise, le réalisateur, va se servir quant à lui de la mise en scène de cinéma pour le faire également. Wise fait parti de cette race de réalisateurs qui signait plusieurs contrats par an et qui, pourtant, n'était pas qu'un simple exécutant.
Il parvenait à donner du sens à sa filmographie, à creuser des thématiques régulières et explorer des émotions qui le touchaient en se renouvelant toujours par le changement de registre de ses films. Il a fait des films noirs, des comédies musicales, du cinéma fantastique, du western etc... Chaque nouveau projet était pour lui l'occasion de divertir le public en ne se reposant jamais sur ses lauriers. N'étant pas rompu à l'exercice de chaque genre, cela lui permettait d'offrir au spectateur une approche toujours différente du genre auquel il se frottait, tout en gardant les archétypes fondamentaux afin de ne pas dérouter, de prime abord, le grand public.
Wise n'a pas les yeux plus gros que le ventre. C'est un cinéaste malin, qui connait aussi bien l'industrie, la technique que l'artistique (il fut notamment monteur pour Orson Welles). Il doit ici réaliser une série B. Il va donc se servir des contraintes de l'exercice pour les sublimer et les transformer en atouts redoutables d'efficacité. Son film doit être court, il est donc décidé que le film se déroulera sur une même unité de temps. Le film s'ouvre sur un travelling avant, dépassant une horloge indiquant une certaine heure. À la fin du film, il reproduit le même plan mais avec, cette fois-ci, un travelling arrière, l'horloge indique une heure dix de plus.
La place filmée ici avec l'horloge est le cadre proncipal de l'histoire puisque le héro abite là et va jouer le match de sa vie dans la salle siseyen face. Nous n'explorerons que quelques rues plus loin, pas plus. Cette unité de temps, de lieu et d'action permet au cinéaste de tourner à moindre frais et de maintenir le personnage principal dans un seul et même périmètre sans avenir, sans aucun horizon, pris au piège dans une ville qui ne lui veut que du mal.
Nous avons gagné ce soir surprend irrésistiblement grâce à son mélange des genres. C'est un film sportif au premier degré, un film noir au deuxième et une tragédie au troisième. Wise s'érige ici en maître de tous ces registres et notamment du suspense crescendo. Nous avons une information que le personnage principal n'a pas et ce coup d'avance ne fait qu'amplifier la tension que Wise fait monter progressivement, notamment avec un montage en parallèle où tous les points de vue se confrontent pour ne plus faire qu'un.
Le spectateur est omnicient et souffre de la fatalité mise en scène. Nous ne pouvons rien faire pour le héros, on redoute l'issue que l'on ne peut qu'imaginer fatale mais la maestria de Mr Wise fait que l'on y croit encore, que le héros peut s'en sortir. La fin est très touchante, le titre français est d'ailleurs l'une des dernières répliques et résume parfaitement le fatalisme teintée d'ironie de l'affaire.
Les chorégraphies des combats sont époustouflantes et le découpage de Robert Wise n'est pas en reste. Il sait faire progresser sa narration en choisissant d'être tantôt sur le ring, tantôt au milieu du public, chacun de ses choix de cadre et de point de vue faisant avancer l'histoire et monter la pression. Nous avons l'impression de voir autant le match par les yeux du public que dans ceux des deux boxeurs s'affrontant.
Les spectateurs du film ont donc toujours un point de vue omnicient et Mr Wise fait preuve ici d'une très grande maîtrise de la direction d'acteur, du découpage, du montage et même du son. Le film ne comporte d'ailleurs pas de musique, hormis le générique et un moment intradiégétique pour masquer le bruit d'un passage à tabac, le rendant encore plus effroyable, le fait de ne rien montrer au profit de la suggestion étant l'une des grandes leçons qu'il ait apprise en se frottant au genre de l'épouvante, tout en employant une esthétique visuelle - avec un jeu d'ombres - et sonore de film noir (morceau de jazz endiablé).
Le héros du poème The Set-Up est un afro-américain. Malheureusement, la RKO refusa tout net pour des raisons commerciales, n'estimant pas assez bankable le fait d'avoir un Noir en tête d'affiche, ce qui vaudra le retrait du poète de l'adaptation. Mr Wise choisira cependant l'acteur parfait pour le rôle : Robert Ryan. Le cinéaste profite une nouvelle fois du maigre budget d'une série B pour s'offrir un acteur de grand talent mais pas cher - et donc point star - qui porte sur son visage buriné d'ancien réel boxeur toutes les déceptions et malheurs qu'il a pu accumuler dans sa propre vie.
Comme son personnage, il est là pour prouver qu'il n'est pas fini, qu'il en a encore dans le ventre, qu'il y croit encore, ce qui donne formidablement du corps à son personnage. Lui aussi a navigué de genre en genre et il est ici comme à la maison. Il fait duo avec celle qui joue son épouse, Audrey Totter, une actrice au même pédigrée. Très à l'aise dans les films noirs, ce long-métrage est son chant du cygne. Ses déambulations sont magnifiées par son silence, son regard perdu et pénétré d'une profonde tristesse, comme si elle voyait sa carrière lui glisser entre les doigts. Bientôt en fin de contrat, Wise a su déceler en elle son vague à l'âme et l'utiliser pour son long-métrage.
Le film est magnifiquement porté par ce duo d'une grande sensibilité et joué par deux grands comédiens qui font d'ailleurs parti d'une distribution géniale, du premier au plus petit rôle, le metteur en scène ne néglige aucun personnage et il a su injecter de l'émotion dans les scénes sportives, ce qui deviendra la maitre étalon pour les Rocky, Raging Bull et bien d'autres.