La vie est un combat, le boxeur et le ring en sont une allégorie. Se battre pour exister, ne pas voir peur de perdre, ne pas jeter l’éponge, résister, savoir encaisser les coups puis les rendre au bon moment : autant de parallèles entre « le noble art » et notre vie qui soulignent leur relation privilégiée.
Robert Wise ajoute à ce parallélisme une critique du capitaliste, en filigrane, avec la question de la concurrence, incarnée d’abord par les deux vendeurs de journaux, le plus jeune venant empiéter sur le territoire du plus âgé avant de le faire partir - néanmoins, c’est celui qui a concédé son « espace historique » qui se retrouvera finalement à l’intérieur de la salle. Stoker, le boxeur, en est lui aussi victime : considéré trop vieux par son propre manager, moqué par le public pour les mêmes raisons, refroidi par sa propre femme qui lui veut du bien, il sent que la roue tourne, qu’il ne fait plus partie des dominés, ou tout simplement de ceux qui sont « dedans » (= dans le ring métaphorique) mais il ne veut pas s’avouer vaincu et continue à lutter, car la victoire lui permet de garder l’espoir : celui d’être en tête d’affiche pour être ensuite mieux payé et enfin monter son affaire. À l’inverse, perdre, c’est mourir.
Néanmoins, bien qu’implicite et intentionnelle dans le film, cette analyse reprenant et prolongeant la vision de Scorsese, auteur du meilleur film de boxe jamais tourné, Raging Bull, et qui, « d’un point de vue analytique, (..) considère le ring de boxe comme une allégorie de la vie humaine, nos luttes quotidiennes [étant] encapsulées dans le cercle carré », ne suffit aucunement à comprendre et cerner le film. Plus concrètement, Wise veut montrer la lutte d’un homme seul contre le Temps (signalé avec obsession dans le film, à travers l’horloge de la ville, le réveil, etc), contre les autres qui ne lui font plus confiance, dénoncent avec insistance sa déchéance et nuisent à son intégrité (d’où ce public ressemblant à une faune dont il révèle l’animalité violente, gloutonne, foncièrement méchante, filmé comme un running gag, avec force gros plans pour en renforcer la sauvagerie) et contre lui-même (c’est-à-dire ses limites physiques, son orgueil blessé, son espoir irraisonné).
En filmant comme en temps réel cette histoire respectant la règle des trois unités (de temps, de lieu et d’action), Wise peut approfondir son analyse spectrale du monde la boxe et tous ses acteurs : les boxeurs d’abord, très bien filmés dans leur attente du combat dans le vestiaire commun où ils livrent avec intimité et solidarité leurs craintes, leurs attentes, leurs rêves, le tout avec de très bons dialogues signés Art Cohn; leurs proches (la femme de Stoker, tremblant pour lui) ; le public, déjà décrit ci-dessus ; les parasites, profiteurs et autres manipulateurs, cyniques, cruels et avides de gain ; puis le monde de dehors, comme divertissement pour la femme qui s’échappe du monde du dedans, c’est-à-dire comme exutoire, moyen de regarder ailleurs.
Stoker qui, lui, au contraire, ne voulait pas y échapper, se retrouve malgré lui contraint de fuir une fois son combat terminé. Or, si le fatum se déchaîne sur lui, respectant ainsi les codes du film noir, dans les plus belles scènes du film, comme cette salle vide au milieu de laquelle se tisse un ring tendu comme une toile d’araignée dont il est prisonnier ou encore l’inévitable cul de sac au bout duquel un rideau de fer contre lequel il est symboliquement plaqué sous une lumière blafarde qui éclaire son dernier répit, le scénario, grâce à une intelligente inversion des perspectives que traduit le titre français Nous avons gagné ce soir, élève la victoire de Stoker et du couple dans la chute de cette fatale défaite finale.
7,5/10