Nous, étudiants !
6.8
Nous, étudiants !

Documentaire de Rafiki Fariala (2022)

Nous, étudiants ! s’ouvre sur une complainte. Face à la caméra, le réalisateur chante le conflit générationnel qui anime le pays et dénonce la façon dont les jeunes sont systématiquement réduits au silence. En effet, le fonctionnement de l’université de Bangui est peu reluisant : la corruption y règne en maître, du classique pot-de-vin à des mécanismes plus insidieux. Certaines étudiantes doivent par exemple se tenir à distance des hommes sur le campus, sous peine de subir la jalousie des professeurs. À cela s’ajoutent les problématiques universelles de la vie étudiante, ici exacerbées : précarité, logements insalubres, classes surchargées, travail pénible et stress des examens. L’introduction du film nous présente ses trois personnages avant que leurs destins ne divergent, faisant d’eux de véritables personnages de cinéma.


Car si le filmage ne fait aucun doute quant à la nature documentaire du film, la précision de sa structure nous orienterait presque vers une fiction. Chaque personnage suit un arc narratif qui lui est propre. Aaron est introduit dans une relation amoureuse compliquée qui, après moultes péripéties, trouvera sa conclusion dans la naissance de jumelles. Cette scène est d’ailleurs montée comme un gag, ellipsant l’accouchement pour mieux se concentrer sur le regard dépassé du jeune père. Si Aaron réussit son année, on ignore dans quelle mesure cette nouvelle impactera ses études, tandis que Nestor et Benjamin auront des parcours tout à fait différents. En évitant d’épiloguer à outrance, le film décrit parfaitement l’ambivalence d’une année estudiantine : simple passage obligé pour certains, étape déterminante pour d’autres.


Afin de fluidifier la narration et d’ellipser en douceur, Rafiki Fariala nous gratifie de magnifiques chants a cappella en sango, langue parlée en Centrafrique et au Congo. Ces airs expriment certes de la douleur, mais sont également porteurs d’espoir : l’un des morceaux est intitulé “I yeke oko”, ce qui signifie “On est ensemble”. Le film est également truffé de pointes d’humour ici et là, à l’image de cet étudiant un peu trop enthousiaste d’avoir réussi son année qui semble jouer pour la caméra. On pourrait également citer cette scène surréaliste où un professeur en costume tient un discours marxiste avant de promouvoir l’esprit d’initiative et l’individualisme. Le film fait un parfait usage de l’ironie, jamais le spectateur n’est boudé dans son plaisir de visionnage.


Pour autant, Rafiki Fariala garde en tête les notions fondamentales du documentaire, à savoir sa place de cinéaste et son rapport à ceux qu’il filme. Deux séquences prouvent sa bienveillance. Dans la première, on le voit discuter avec Nestor, qui émet des doutes sur leur amitié car il se sent manipulé par le film ; garder cette interaction au montage est à la fois une marque de courage et d’honnêteté. La seconde montre Aaron et son épouse en train de se doucher ensemble. Cette scène très délicate intervient naturellement dans la conclusion : le spectateur n’est pas dans une position de voyeur et les personnages sont à l’aise. Nous, étudiants ! porte le sceau de cette finesse, que l’on espère retrouver au service d’un second film.


Auteur : Corentin Brunie

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le 11 déc. 2023

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