Italie,Deuxième Guerre Mondiale.Antonio,Gianni et Nicola font partie de la Résistance et deviennent d'inséparables amis.Quelques années plus tard,la paix revenue,Antonio est devenu infirmier à Rome et vit avec la jolie Luciana,une aspirante comédienne.Gianni,avocat ambitieux,va ensuite venir lui aussi s'installer dans la Ville Eternelle,suivi de Nicola,professeur devenu journaliste cinéphile.Les quatre personnages vont se croiser pendant 25 ans au gré des histoires d'amour,des fâcheries et des réconciliations.Voilà un des sommets de la comédie italienne des années 70,réalisé par un des cadors de la spécialité,Ettore Scola,qui cosigne le scénario avec Age et Scarpelli,le duo d'auteurs légendaire qui a marqué le genre des années 50 jusqu'aux eighties.La musique est composée par Armando Trovajoli,autre grand du ciné transalpin dont la partition se marie idéalement aux différentes époques et ambiances qui traversent le film.Scola propose une radiographie pessimiste de l'Italie d'après-guerre à travers le parcours de ses personnages emblématiques."NNSTA" est un fourre-tout,mais un fourre-tout assez génial qui reste constamment lisible.C'est une comédie,c'est une tragédie,c'est un film politique,c'est un film philosophique,c'est un mélo,c'est la vie à l'épreuve du temps qui passe.Le cinéaste ose tout et expérimente tant au niveau de la mise en scène qu'à celui de la narration.Il y a des flashbacks,il y a des apartés face caméra,il y a des passages de la couleur au noir et blanc et inversement,il y a des extraits de films,il y a des caméos inattendus,il y a des personnages sur la toile d'un écran qui sont doublés par les voix de Luciana et Antonio.Scola fait du burlesque,la scène de la sortie de garage des véhicules,du surréalisme,les incroyables séquences du cimetière de voitures ou du cochon de lait,du pathétique ironique et bouleversant,les retrouvailles de Gianni et Antonio 25 ans après dans le parking,du référentiel nostalgique,la magique scène où Antonio déboule avec son ambulance en pleine nuit et tombe sur le tournage du fameux bain dans la fontaine de Trevi dans "La dolce vita",avec Fellini et Mastroianni dans leurs propres rôles.C'est aussi un film sur le moment.Rien ne rapproche vraiment les trois hommes,hormis cette période qu'ils ont vécue durant la guerre,le compagnonnage,le danger,la peur et l'adrénaline du combat qui les ont liés à jamais.Sinon,ils sont très différents et leurs relations seront émaillées d'engueulades homériques et de bagarres d'ivrognes.Tous trois sont des gauchistes convaincus mais ils devront composer avec la réalité dans cette Italie nouvelle labourée par le rouleau-compresseur du capitalisme mafieux.Gianni sacrifiera ses idéaux et son amour au profit de sa réussite financière,Nicola sacrifiera tout,femme,enfant et métier,au profit de ses idéaux,et tous deux finiront hantés par un sentiment amer de ratage.Seul Antonio restera lui-même parce que contrairement à ses potes ce n'est pas un intellectuel.Lui,c'est le militant de base,le gars qui va aux manifs,qui porte des banderoles et gueule des slogans dans un mégaphone,l'idiot inutile de toutes les luttes perdues d'avance,celui qui croit toujours au Grand Soir et se fera toujours avoir,le cocu dans tous les sens du terme car Luciana le trompera avec ses deux amis.Mais au moins il est sincère et honnête,et il gardera le cap envers et contre tout.On sent d'ailleurs que c'est lui le favori des auteurs,qui sont pourtant plus près socialement et intellectuellement de Gianni et surtout de Nicola.Antonio et Nicola sont des cocos convaincus mais ce n'est pas la même gauche.Le second est un doctrinaire radical et borné,un penseur autoritaire de type stalinien ou "robespierrien",alors que le premier est plus un ouvriériste naïf qui se contente de vouloir améliorer le sort des plus pauvres."Notre génération est dégueulasse",dira Gianni à ses amis.Sans doute parle-t-il surtout pour lui,mais son jugement est un peu sévère.Certes,Nicola et lui se sont très mal comportés mais leur passé plaide pour eux.Ils se sont battus,réellement,sur le terrain,pour sauvegarder la liberté,ils ont pris des risques dans des conditions difficiles à une époque où,comme le disait Charles Pasqua en réponse aux salonnards pourfendeurs du "fascisme","nous étions peu nombreux à le combattre les armes à la main".C'est d'ailleurs pour ça que leur amitié perdurera malgré les choix différents et les disputes.Luciana,au fil des décennies,aimera les trois hommes,mais pas de la même manière.Un amour solide et raisonnable avec Antonio,l'amour passion avec Gianni,tandis que Nicola ne sera qu'une brève passade.On peut reprocher au film le côté excessif de certaines scènes et de certains comportements,le tropisme comedia dell' arte,et le manque de profondeur de personnages définis plus par leurs actes que par leur pensée,même s'ils en sont la conséquence.On a ainsi souvent l'impression d'avoir affaire à des symboles plus qu'à des humains,uniquement destinés à transcrire des prototypes des divers visages de l'italien entre fifties et seventies.Les acteurs sont des tueurs à gages certifiés et crèvent l'écran avec classe.Stefano Satta Flores est excellent mais il est un bon cran en-dessous des géniaux Nino Manfredi,extrêmement touchant en brave type aux croyances idéologiques inébranlables dont la gentillesse et la sincérité profonde transparaissent en permanence derrière l'apparence joviale et agitée,et l'hyper classieux Vittorio Gassman,qui nage tel un poisson dans l'eau dans l'ambigüité d'un personnage tiraillé entre avidité et culpabilité.Stefania Sandrelli est craquante en jeune femme paumée qui,de désillusion en désillusion,devra faire le deuil de ses rêves de gloire et de grand amour mais trouvera in fine son équilibre en opérant enfin le bon choix.Giovanna Ralli est fantastiquement émouvante en héritière éperdument amoureuse d'un homme qui l'utilise,la méprise et l'ignore en dépit de tous ses efforts pour le séduire.Il y a aussi un formidable Aldo Fabrizi qui campe de manière saisissante un entrepreneur mafieux obèse et repoussant à souhait.En plus de Fellini et Mastroianni,on voit apparaître dans leurs propres rôles Vittorio De Sica et l'animateur télé Mike Bongiorno qui,s'il est inconnu chez nous, fut une star de la RAI.