C’est bizarre, ça fait bizarre, légèrement, de découvrir le premier long métrage de Joachim Trier après avoir vu tous ses autres, à rebours de ce que l’on connaît désormais de son style et de ses thématiques. Et après avoir été emporté, et te laissant à chaque fois avec un souffle au cœur même quand t’y penses, ou quand t’y repenses, ou quand t’as envie de le revoir et que tu le revois, évidemment, par la beauté et la mélancolie languides d’Oslo, 31 août, mais après avoir été déçu ensuite, un peu, pas mal, par Back home et par Thelma. Et puis séduit, à nouveau, par le pétillant Julie (en 12 chapitres) qui sortira mi-octobre.
Nouvelle donne, c’est l’histoire de deux amis aspirants écrivains, si possible grands écrivains, qui le même jour envoient leur manuscrit à une maison d’édition. Celui d’Erik est rejeté. Celui de Phillip est retenu et publié. On l’encense. Phillip en fait une dépression. Six mois plus tard, Erik et ses amis vont chercher Phillip à sa sortie d’un institut psychiatrique. Phillip a tiré un trait sur l’écriture, tandis qu’Erik a continué dans cette voie-là. C’est l’heure des mises au point, des mises en doute et des remises en question… Trier et son complice Eskil Vogt ont concocté une comédie douce-amère qui parle d’une jeunesse qui bouillonne mais qui se cherche, arpentant sans relâche les champs du possible (la vie, les amis, les amours, les emmerdes, le rock, la création littéraire…) en quête de quelque chose qui aurait un sens, d’une évidence soudain.
Voir Nouvelle donne à l’aune d’Oslo, 31 août, que Trier réalisera cinq ans plus tard, et même si cela relève d’une certaine inutilité, voire de la bêtise, c’est appréhender les motifs autant esthétiques que scénaristiques qui jalonneront son cinéma. Un vague à l’âme existentiel diffus ou plus tangible (ou même autodestructeur), une place qui semble impossible à tenir dans le monde, un rapport aux autres en constant décalage, l’amour de l’art dans tous ses états… Et, dans la forme, un récit qui s’autorise des apartés, des retours en arrière ou des bonds en avant, des digressions et des chemins de traverse. Et Anders Danielsen Lie, qui alors n’avait pas prévu de devenir acteur, faisant des merveilles dans un rôle proche de celui qui le révèlera dans Oslo, 31 août.
Avec Nouvelle donne, Trier avait, a-t-il expliqué, "des ambitions formelles précises. J’étais hanté par le travail d’Alain Resnais et de Tarkovski dans Le miroir. J’étais intéressé par l’espace mental et comment le montrer au cinéma. Jeune, on saute d’une idée à l’autre, le montage est fragmenté". De fait, son film a tendance à s’oublier dans une énergie un peu artificielle, un style foisonnant qui gêne, au début, dans la compréhension des enjeux et la caractérisation des personnages (c’est plus qu’évident dans le traitement narratif, quasi inexistant, des trois amis de Phillip et d’Erik ou, dans une moindre mesure, de Kari, l’amour perdu de Phillip). Cette volonté manifeste d’inventer et de surprendre, à défaut d’emballer complètement pour cette première fois (Oslo, 31 août s’en chargera), n’empêche pas Trier d’arriver à saisir dans un seul et même élan, et à sa façon, spleen aérien et air du temps.
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