Deux jeunes amis aspirant auteurs, Erik et Phillip, postent leur manuscrit en même temps. L’image est pale, presque morne, avec ses nuances de gris. Les deux jeunes hommes sont vêtus de noir. Seule la boite postale rouge vive, au cœur de l’image, ressort. Se démarque. Cette boite aux lettres cristallise toutes leurs ambitions, leur potentielle réussite ou au contraire, leur potentiel échec. C’est le grand saut. Vers leurs rêves les plus fous et vers la réalité qui les attends. Rêves fait de succès, de retraites à Paris, de jeunes femmes mystérieuses et de retrouvailles inattendues, qui nous sont exposés brutalement en deux petites minutes dans une séquence en noir et blanc, contée par une voix off avec profusion de détails. Réalité qui nous explose au visage deux secondes plus tard, pour mieux détruire ce fantasme adolescent. Le manuscrit d’Erik a été rejeté, celui de Philip publié, mais celui-ci sort d’un hôpital psychiatrique après une grave dépression.
C’est la reprise. Pour se remettre de l’échec.
C’est la reprise. Pour se remettre de la dépression.
La séquence inaugurale fixe en une poigné de minutes le style travaillé de ce premier film de Joachim Trier, déjà accompagné d’Eskil Vogt au scénario. Une esthétique minimaliste claire et monotone qui plonge le film dans une profonde mélancolie, reflet de l’état d’esprit de nos deux jeunes héros, une attention aux détails qui retranscrit visuellement les émotions des personnages dépeints et une structure déconstruite qui bondis vers un futur fantasmé et s’enfonce dans un passé vécu.
Les parties pris visuel nous plonge dans les recoins les plus profond de la psyché des deux jeunes écrivains pour saisir leur espoirs arrogants et leurs insécurités tenaces. Les épisodes de leurs passés surgissent au fur et à mesure, au grès d’une rencontre, d’un évènement ou d’un sentiment pour mieux nous montrer leurs incidences. En quoi ils les ont influencés, construits, définis. Fait d’eux, les hommes qu’ils sont devenus. Les moments passés entre Phillip et Kari, sa petites amies, sont souvent retranscrits de manière digressives, la chronologie s’entremêlent, les paroles échangés désynchronisées sonnent comme un musique de fond. Comme s’ils étaient remémorés, surgissant soudain de la mémoire de Philip, tel qu'il se les rappellent. Trier utilise les flashbacks et les différents points de vue pour montrer l’impact des situations les plus percutantes de leurs vies, et leurs conséquences.
Punk, amour et dépression
Reprise c’est le portrait de jeunes hommes qui ne vivent pas vraiment dans le présent, qui passent leurs temps à revivre ce qu’ils ont déjà vécu, ou à imaginer ce qu’ils vivront. Le portrait de deux jeunes hommes qui doivent se construire, se frayer un chemin entre fantasmes et réalités. Un portrait qui saisit au passage la douce folie de l’adolescence et dresse le portrait d’une certaine culture adolescente masculine, faîte de musiques, de concerts, de modèles, de héros, de chambrages, de soirées, de filles, de discussions sur les filles, de débats acharnés, d’envie d’ailleurs, de rêves. De recherche de liberté.
On a malheureusement parfois la sensation que la structure déconstruite est plus là pour servir le résultat visuel que la construction narrative. Le style plutôt que la substance. Les séquences les plus touchantes sont d’ailleurs les plus simples et les plus légères, quand ils discutent entre amis au bord de l’eau ou sur un banc au milieu d’un parc, quand ils se lâchent et font la fête dans un appartement bondé ou quand ils prennent une photo à la dérobé avec leur héro littéraire de toujours.
Un Joachim Trier qui fait un peu trop dans l’épate, les pattes embourbées dans son ambition visuelle. Qui veut plus montrer qu’il ne veut raconter.
Un Joachim Trier qui reprendra le même acteur principal tout en regard sec, les mêmes thèmes, la même atmosphère, et même certaines situations, les péchés de jeunesse en moins, la grâce lumineuse en plus, pour réaliser quelques années plus tard, le très beau Oslo, 31 août.