Les russes l'ont bien compris. Donc, quand ils réalisent des comédies, ils n'y vont pas avec le dos de la cuillère ! Et La nuit du carnaval, qu'est-ce sinon une heure dix pittoresque d'idéalisme et de bonne humeur communicative ? L'humilité d'un tel film, à priori dérisoire (une petite comédie populaire gentillette), ne peut qu'être saluée tant le tour de force est présent. De la mise en scène et du découpage qui enjoués et symphoniques participent à l'ambiance bon enfant et franchement adorable du film, mais aussi la photographie chatoyante qui joue avec les couleurs de la manière la plus admirable possible.

Ce qui est fort, et c'est aussi ce qui semble aussi s'être perdu dans la comédie populaire, c'est que le film aborde pourtant des sujets sérieux, graves, politiques, n'est pas dénué de sous-textes intéressants mais ne se départit jamais du prisme amusé qui fait toute sa puissance. Parce que le film est loin d'être la comédie populaire triviale que l'on pourrait a priori imaginer, et quand bien même il le serait, il resterait bien fichu et agréable à regarder.

Mais les enjeux sont bien là. Le contexte dans lequel le film a été réalisé, quatre ans après la mort de Staline, n'a rien d'anodin. C'est une bouffée d'air frais pour le cinéma (et l'art en général) russe qui semble se départir enfin des diktats et autres carcans imposés par le Petit père des peuples. Et le film le montre très bien, pourrait aussi être vu comme une allégorie de la censure stalinienne, très bien incarnée par le personnage du directeur, sorte de gardien angélique des valeurs traditionnelles. Mais c'est l'énergie et la liberté qui sont célébrés dans cette Nuit du carnaval, quitte à bafouer les conventions. D'abord parce que le film est, dans une certaine mesure, sexué. Non, vous ne verrez pas de nichons ou de pipes en gros plan (et c'est tant mieux) mais un érotisme latent (et peut-être un peu rapidement traité, dommage) se dégage de la relation entre Grischa et Léna, les hommes s'embrassent sur la bouche ...etc

Pourtant, le film ne va jamais s'enfoncer dans une logique manichéenne éculée et lourdingue. Non, comme je l'ai dit plus haut, tous les sous-textes politiques (joyeux appel à la révolte qui ne peut qu'évoquer un certain Cuirassé Potemkine a ceci près que le film célèbre ici un pacifisme candide) sont perçus sous le prisme de la comédie. Et plutôt que de faire du directeur un homme lugubre et abject, Ryazanov préfère le traiter en personnage de comédie, en le transformant en bouffon risible.

Le seul reproche majeur que je formule au film, c'est que la débauche de bonne humeur est peut-être un peu longue et tombe parfois un peu dans la lourdeur notamment dans un dernier quart d'heure un peu moins inspiré et dans une scène post-générique dispensable.
Nwazayte
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le 2 janv. 2014

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Nwazayte

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