Nous sommes en 1956, dans une URSS qui a assisté, quelques années auparavant, à la mort de Staline et qui entre dans la période dite du dégel, marquée par certaines ouvertures dans le domaine de la liberté d’expression et de la création artistique. Les jeunes salariés d’un institut d’économie préparent une grande fête à l’occasion du Nouvel-An, avec bal masqué et animations en tous genres. Mais Ogurstov, le directeur fraichement nommé, veut tout changer au dernier moment pour donner à la soirée une allure plus officielle, plus conforme à la tradition bureaucratique : il veut remplacer les spectacles amusants par une lecture de rapports officiels et une conférence sur les dernières avancées en astrophysique, réviser les sketches des clowns pour les rendre plus réalistes et y faire passer des messages édifiants, remplacer l’orchestre de jeunes jazzmen par celui des vétérans retraités de l’amicale « Chansons et pensions », supprimer la performance des danseuses classiques qui font montre d’une impudeur indigne des économistes qui s’y livrent, transformer un quatuor de chanteurs, trop individualistes par leur petit nombre, en une chorale, qu’il appelle un « quatuor de masse »… Il passe d’une salle à l’autre de l’institut et exerce son droit de regard : « Je le déclare officiellement : ce n’est pas opportun. » Il essaie en effet de s’attirer les bonnes grâces de Teleguine, un officiel du Parti, et est prêt à tout pour éviter « un torpillage de crédibilité ». La jeune Lena Krylova, organisatrice de la fête et héroïne du film, va devoir ruser, avec l’aide de ses camarades et de son soupirant Gricha, pour pouvoir déjouer les projets d’Ogurstov sans jamais s’attaquer frontalement à son autorité. Les jeunes gens parviendront à leurs fins et produiront, dans la dernière partie du film, une soirée enchanteresse où se succèdent les tours de magie, les danses, les chants, donnant à La Nuit du Carnaval des allures de comédie musicale joyeuse et pétillante, certains thèmes musicaux (comme celui des cinq dernières minutes avant minuit) restant longtemps dans la tête des spectateurs.

Ce film, qui aurait été considéré comme insolent et scandaleux quelques années auparavant, participe en fait d’un mouvement général encouragé par Khrouchtchev et favorisant la critique des travers de la vieille bureaucratie soviétique. Elle prend ici la forme d’un conflit de générations entre une jeunesse romantique et enthousiaste et des chefs conservateurs au discours puritain, encore imprégnés des conceptions staliniennes de l’art, comme le réalisme socialiste. Certaines influences occidentales, comme le swing jazz ou le ton des comédies musicales américaines, pointe, mais sans qu’on puisse parler pour autant d’imprégnation culturelle car l’ensemble, du type d’humour jusqu’au style des chansons, est bel et bien russe. L’atmosphère qui s’en dégage est réellement charmante, avec ces jeunes filles en costumes folkloriques, ces couleurs vives, cette idylle naïve entre les deux héros, ces femmes de chambre qui font des claquettes… Le film, vu à sa sortie par 48 millions de spectateurs, témoigne d’une période de transition dans l’histoire du cinéma soviétique et répond, hier comme aujourd’hui, à un goût du public trop souvent négligé à la fois par le cinéma industriel et par les films d’auteur : la bonne humeur.
David_L_Epée
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le 23 déc. 2014

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