Un biopic de Cole Porter par Curtiz avec Cary Crant, normalement, ça devrait faire rêver, pourtant, j'avoue avoir commencer à regarder ça avec des pincettes, ce qui, vous l'avouerez, n'est pas la chose la plus simple à faire. Une légende tenace voulait d'ailleurs que la bisexualité débordante du héros soit absolument effacée de cette version, ce que l'époque rendait particulièrement crédible, et que l'histoire fadasse avec son épouse allait noyer tout l'intérêt de la chose, c'est un peu plus compliqué que ça...
Déjà, Cole Porter, vous connaissez tous ses chansons par coeur (pour les trois cancres au fond à droite, je renvoie vers la liste de Joe : http://www.senscritique.com/liste/20_numeros_avec_une_melodie_du_tonnerre_evidemment_signee_Co/84873 ) je ne vais donc pas m'attarder sur les avantages purement musicaux de ce film, sachez juste que, bien que l'assistant en charge des numéros ne se montre pas particulièrement brillant, il y a de quoi ravir les amateurs avec, entre autres une danseuse de claquettes délirante, un numéro de danse de cannes époustouflant et le plaisir délicieux de retrouver les tubes du maître de plus en plus souvent à mesure que sa carrière prend forme...
Cary joue donc Cole, fils de bonne famille qui s'ennuie à Yale à rater son droit et qui part en goguette avec un professeur barbichu pour conquérir Broadway et, après quelques péripéties comme la première mondiale ou sa rencontre avec une donzelle froide jouée par une Alexis inconnue au bataillon, devient le Cole Porter que tout le monde connait (même les trois cancres du fond à droite qui ont pu réviser depuis le paragraphe précédent).
Pendant tout le film, ce bon Cole évite autant que possible d'embrasser les femmes ailleurs que sur le nez, sauf sa mère bien sûr, qu'il embrasse à pleine bouche en l'appelant "Darling", travers que ce bon Cary n'a pas pu corriger depuis In Name Only... (c'est d'ailleurs seulement en se faisant passer pour sa mère que son ancienne copine de fac parviendra à l'aborder pendant ses premières répétitions de théâtre), il se fait gronder ouvertement par les donzelles autour de lui par son implacable froideur à leur égard et son vieux compère lubrique ne cesse de lui expliquer à quel point il n'est pas fait pour la mariage... je ne vois pas trop comment on pouvait faire plus transparent...
Le vieux complice, c'est Monty Wooley, le type qui vient pour dîner, il est joué par lui-même et c'est une chose assez réjouissante, il permet de se reposer agréablement de la blondasse fadasse qui ne sert pas à grand chose et on s'oublie agréablement avec lui entre les numéros en se disant que, décidément, Curtis est vraiment capable d'intéresser avec n'importe quoi... des tirailleurs sénégalais, une vendeuse de partition devant un sandwich, Cary qui mange un cornet de frites, Mary Martin dans son propre rôle qui mange une pastèque avant d'avouer que son coeur appartient à son papa... impossible de s'ennuyer devant de telles merveilles...
ANotons au passage absolument gratuitement que c'est, après Yankee Doodle Dandy, la seconde fois en quatre ans que Curtiz filme un biopic sur une star de Broadway qui voit son spectacle interrompu par le naufrage du Lusitania, décidément, ce n'est pas de veine...
Un gros bémol pour terminer, une fois de plus, je ne vois pas l'intérêt de montrer à l'écran des succès de Broadway pour lesquels Wodehouse a participé sans nous faire l'honneur d'un petit passage avec l'auteur, je sais bien que Cole est réputé pour faire à la fois les textes et la musique mais ça ne veut pas dire que Pelham Grenville n'a pas participé au livret d'Anything Goes par exemple ce qui méritait bien un strapontin pour l'honneur...