En 2005, après plusieurs années de travail dessus, Shane Acker peut faire découvrir son court-métrage de fin d’études. Baptisé 9, il présente deux poupées en toile de jute dans un univers qui semble le notre, mais dévasté. Sans aucun dialogues, le court impressionne par son ambiance, tandis que sa réalisation technique est bluffante pour l’époque, donnant corps à cet univers.
Le titre est remarqué, il est même nominé aux Oscars et deux grands cinéastes vont s’intéresser à ce Shane Acker. Timour Bekmanbetov, qui avait fait sensation avec sa série d’action fantastique Night Watch et Day Watch, alors à l’oeuvre sur Wanted qui allait sortir en 2008. Et un certain Tim Burton, qu'on ne présente plus. Tous deux, et quelques autres, décident alors de produire une version longue de 9, toujours confiée à Shane Acker.
Le film sort en 2009, et les critiques sont assez partagées. Le film ne laisse pas indifférent, mais il le doit aussi à certains partis pris. Numéro 9, de son petit titre français, a le fessier molletonné entre deux chaises, entre la dureté de son univers et la simplicité de son histoire. Entre des préoccupations un peu plus matures et des désirs de toucher un public malgré tout (trop) large.
Ce Numéro 9 est une poupée de chiffon qui s’éveille à la vie dans un atelier abandonné depuis des lustres. Le cadavre de son créateur semble reposer là depuis quelques temps. Avec cette petite créature qui découvre le monde extérieur, c’est aussi le spectateur qui tente de déchiffrer le chaos survenu, tout de ruines, de gravas, de rouille et de poussières. Quelques cadavres jonchent les rues. La désolation est partout : il est arrivé quelque chose de grave dans le passé.
Et même si 9 découvrira plus tard les raisons d’une telle destruction, ces premières minutes sont angoissantes mais belles, dans un silence qui fait écho au court-métrage mais qui permet aussi au spectateur d’investir cet univers, d’élaborer des hypothèses.
D’un petit réglage technique, 9 peut acquérir la parole, grâce à une autre poupée en toile de jute. Notre petit homme n’est pas seul, d’autres existent, et tous ont un numéro, 9 étant le dernier. Chacun possède sa personnalité mais aussi un rôle dans ce nouveau monde, un portrait dressé à grands coups où chacun est unique, mais pas si caricatural, même s’il faut un peu fouiller dans les bonus des éditions physiques pour avoir la confirmation que ces grands caractères ont une raison d’être si différents. Des personnalités assez fortes mais sans grande profondeur, mais avec certaines malgré tout assez attachantes. Toutes sont assez différentes, témoignant d’un travail artisanal et des expérimentations pour arriver jusqu’à 9.
9 est le petit dernier, mais il est aussi l’aventureux, celui qui veut défaire ce qui ne va pas. Un état d’esprit courageux mais aussi humble, qui ne fera d’abord pas l’unanimité. Car si les hommes sont morts, ces petites créatures de chiffon et de technologie intégrée sont pourchassées par une étrange créature, mi-mécanique mi-squelettique. 9 est arrivé au monde accompagné d'une pièce étrange, dont il a la conviction qu’elle pourrait améliorer leur sort, mais qui va d’abord entraîner de nouvelles menaces sur eux.
Cette menace n’est que l’héritage de la folie des hommes. Le film en quelques séquences démontre les absurdités du progrès scientifique détourné à des fins militaires et politiques, mais aussi insidieuses propagandes et autres mensonges d’états. Les armes ont été baptisées des « machines de paix », et la paix est arrivée, assez ironiquement, avec la mort de tous les hommes.
Mais 9 et ses alliés doivent encore mettre un terme à la dernière machine en place, une gigantesque araignée de métal à l’œil gigantesque et luminescent qui se nourrit des âmes des poupées de chiffon. Tout le propos du film aurait pu reposer sur ce beau sujet, entre se cacher ou résister, survivre ou risquer la mort, écraser ses idéaux ou les suivre. Ces créatures sont frêles et fragiles face à cette machine de fer. Leur mort est possible, elle arrive pour certains, accentuant le malaise de cet univers dangereux, où la survie ne tient qu’à un fil, le leur.
Pourtant, le film s’emmêle un peu les ficelles, quand il essaye de raccorder l’existence de ces créatures et de la machine. Leur connexion aurait pu être plus nuancée, mieux travaillé, car avec l’existence de cette pièce providentielle, tout semble un peu trop évident. Peut-être aurait-il fallu aller jusqu’au bout de l’idée, d’une symbiose sacrificielle, le résultat semble un peu trop timide, trop consensuel.
Le film étant assez court, 79 minutes générique compris, il prend certains raccourcis, quelques facilités scénaristiques un peu trop évidentes. Pourtant, il adopte un rythme assez plaisant, n’hésitant pas à offrir le frisson de quelques scènes aventureuses où les alliés de 9 sont aux prises avec des avatars mécaniques dangereux. La caméra se faufile dans les recoins et les passages de la fuite des personnages, tandis qu’elle jouera avec la dissimulation pour les moments plus angoissants, faisant ressentir le statut de proies des créatures de tissus et de métal. Mais le film laisse parfois à 9 et au spectateur le soin de souffler, même si ce répit est toujours fragile. Cela permet d’en découvrir plus sur le monde ou de respirer un peu, à l’image de cette très belle scène avec le vinyle. Le risque n’est jamais loin, comme pour ce passage assez réussi où le délassement est troublé progressivement avec une force évocatrice assez saisissante.
L’animation numérique utilisée est assez remarquable, car elle est bien employée, que ce soit dans la mise en scène ou dans les lumières. Dans ce monde gris, recouvert par la poussière et les cendres, la lumière est à la fois utilisée comme source d’espoir mais aussi comme un accessoire de crainte, à l’image de l’oeil luminescent et perçant de la machine. La technique est vraiment au service du film, ne sacrifiant jamais une direction artistique assez impressionnante.
Il y a bien sur ces ruines, ces restes de civilisation, et la désolation qui en découle. Mais aussi ces créatures, qu’elles soient de chair ou de métal, s’appropriant les restes pour construire des abris, des moyens de défense mais aussi de nouvelles armes, rafistolées et bricolées mais sous l’égide de la machine assez inquiétantes. Le réalisateur évoque du « punk recup », un terme soufflé par un fan du court-métrage, et il correspond bien. Le film semble prendre part dans un entre-deux, entre des armes, des visuels et des idéologies qui peuvent correspondre à la Première Guerre mondiale et à la Seconde. Un monde dystopique qui n’est pas arrivé, mais l’avertissement est là.
Un des bonus de l’édition Blu-Ray évoque une épopée, et le film en est une, avec ses moments impressionnants, son aventure hors du commun mais aussi ses moments plus sombres. Si le film se termine de manière paisible, la dureté de certains passages reste dans les mémoires. Son univers apocalyptique à hauteur de petites créatures de chiffon ne peut pas laisser indifférent. Il est alors regrettable que quelques idées un peu trop faciles, trop attendues, pour proposer une trame assez convenue avec ce héros aventurier et sa pièce « magique », jurent avec ce film dont on aurait aimé qu’il aille jusqu’au bout de toutes ses ambitions y compris et surtout les plus tragiques.