Ceux qui me connaissent savent que je critique parfois le féminisme exacerbé, et souvent mal placé, de ma génération, mais ce n’est pas pour autant que je ne pense pas que les femmes aient des droits et qu’il faille les respecter, ni bien entendu qu’il reste encore des injustices fondamentales à pallier. Et justement, en allant voir Numéro Une, je nourrissais l’espoir de voir les combats féministes se recentrer autour de problématiques autrement plus importantes que la grammaire. Tonie Marshall signe un film de presque deux heures dénonçant le fameux « plafond de verre » qui persiste à bloquer l’ascension des femmes jusqu’à des postes hauts placés. Et c’est effectivement une honte. Et c’est effectivement bien d’en parler.
Mais les débats ne font avancer les sociétés que quand ils sont constructifs, or je n’ai rien perçu de tel pendant la projection, malgré toute l’attention que j’ai pu lui porter. La Numéro Une est incarnée par Emmanuelle Devos qui est excellente dans le rôle de femme d’affaire supposée engagée et ambitieuse. « Supposée » parce que le profil psychologique de son personnage manque à mon sens de profondeur. Elle a peu à peu gravi les échelons de son entreprise jusqu’à intégrer le comité exécutif et devenir une carte maîtresse pour son patron, quand des féministes influentes la contactent pour qu’elle incarne leur combat à la tête d’un grand groupe du CAC 40. En tant que première femme à briguer un tel poste, la bataille n’est pas gagnée d’avance pour Emmanuelle (dont le choix des armes est bien différent de celui de son célèbre homonyme des années 1970’). Elle devra lutter pour affirmer ses droits dans une mare de requins rétrogrades prêts à tout pour l’en empêcher.
Jusque là, pas de problème. Le sujet est plutôt accrocheur, le casting attractif (Emmanuelle Devos joue aux côtés de Richard Berry, Benjamin Biolay, Suzanne Clément…), mais Numéro Une évoluait sur un fil en talon aiguille et vacille trop vite dans le cliché et la parodie. Attention, j’ai bien conscience que le monde du travail est encore particulièrement inégalitaire aujourd’hui en France et que les femmes doivent lutter pour y trouver leur place. Cette cause m’aurait justement semblé nécessiter un traitement moins manichéen. Impossible de désigner un seul personnage masculin qui ne soit pas dépeint qu’au travers de son aspect le plus négatif - et jusqu’à ses proches comme son père, son mari, son patron (voire même son fils malgré sa seule et unique intervention) ! On remarquera que Tonie Marshall parvient à en déceler une palette complète et créative : le goujat prétentieux, l’irréductible irrespectueux, le misogyne primaire, le pervers polymorphe…
Dans le film, les femmes sont mesurées, elles prennent le temps de penser, alors que les hommes sont agités, constamment en représentation. La femme évolue sur une musique classique en récitant du Cyrano, la séquence d’après, l’homme est dans un club de nuit entouré de femmes dénudées. La femme ne reprend pas de croissant, l’homme demande s’il reste des macarons. La femme essaie de faire avancer sa société, l’homme s’amuse avec des remarques sexistes sur les jambes de la secrétaire. Et les exemples se multiplient…
Alors c’est ça la société française ? Vraiment ? Il y a les femmes d’un côté et les hommes de l’autre ? Comment revendiquer une société égalitaire quand on essaie de se hisser à la place de quelqu’un et non pas à ses côtés ? Si ce film avait pour ambition de faire bouger les choses de façon constructive, il me semble que c’est un échec dans la perspective de s’adresser à un public qui n’est pas déjà convaincu. Ce parti-pris nous enlise avec lenteur dans le combat femme contre homme, parce qu’il manque incroyablement de nuances !
Dans Numéro Une, on n’a pas des femmes et des hommes qui essaient de cohabiter, et le drame est là : toutes les femmes sont LA femme, et tous les hommes sont L’homme. C’est certain, le combat n’est pas terminé aujourd’hui et nous manquons de Simone Veil, mais attention à ne pas se tromper d’ennemi !