Si vous entrez dans cette pièce, vous devrez rester jusqu'à ce que j'ai fini...
Après un premier opus brillant dans sa sensibilité (et clairement pompeux dans ses effets intellectualisant la sexualité, amusant car le film détruit ces parenthèses par une simple remarque bien sèche de Joe, un régal), cette seconde partie reprend sans rappel pour suivre la plongée de Joe dans la frustration d’avoir l’appétit sans le goût. Si les petites anecdotes cocasses (le coup des cuillères) et la relation avec son amour retrouvé (Jérôme) compensent (avec l’arrivée d’un bébé mis au monde par césarienne histoire de lui refuser l’accès au « sanctuaire »), l’absence de réaction, au fil du temps, pousse Joe à rechercher des sensations de plus en plus fortes. Arrive alors le cliché de l’étalon noir, au cours d’une scène absolument provoc où Joe, ayant réclamée les services de deux frères, se retrouvent dans une conversation digne de querelle de marché, avec des noirs qui parlent presque comme les terroristes de Team America avec monstrueux pénis en érection se faisant face. On retrouve bien là une piste déjà explorée par notre danois dans Manderlay (mon cru préféré de sa filmo, pour rappel), qui au cliché typiquement européen du mâle noir bien membré, ose rajouter son utilisation du mot « nègre », en y allant de sa petite réflexion sur le poids historique du mot qui a été banni par la société, usé ici pour désigner le cliché que recherchait Joe afin d’assouvir ses fantasmes. Sacré Lars, la moitié de la salle te déteste déjà…
Passé cette séquence de frustration étrange, le film s’attaque au sadomasochisme violent, puisque Joe se met ici aussi service d’un inconnu (dont nous ignorerons tout, si ce n’est les services qu’il rend dans les locaux glauques où il opère). Commence alors la thérapie par la douleur, où Joe cherche l’extase à la fois par ses nerfs mis à vif (acquérant une sensibilité comme jamais elle n’en avait douté) et peut expier sa nature qu’elle perçoit comme viciée. Mais ces séances l’éloignent du domicile, où son enfant restait à sa surveillance. Et d’un coup arrive sans prévenir la scène identique à l’ouverture de Antichrist. Salaud de Lars, tu vas oser nous la faire ? Ce tour de cochon est d’autant plus génial que Antichrist et Nymphomaniac se mettent en résonnance, apportant un nouvel angle de lecture au scandale cannois de l’époque et connectant finalement ses films, dans un univers où la morale ne semble exister que selon l’état d’esprit des personnages qui l’habitent. L’humiliation et la déchéance, Nymphomaniac les exploite à fond, réduisant autant que possible les digressions de Seligman et s’axant sur le parcours de Joe, transitant par les nymphomanes anonymes. L’histoire avance sans cesse, passant d’étape en étape, avec des postures qui s’adaptent plus à la situation traversée qu’à un message global. Nymphomaniac n’est pas un film cohérent sur la longueur, il ressent avec profondeur les situations qu’il traverse et prend une posture incarnée par un choix de l’héroïne, souvent le plus polémique possible (avec parfois la dose de jubilatoire qu’il faut : voir sa sortie du groupe de nymphomanes).
Arrive enfin le gros morceau du film (avec le final hautement déprimant) : la pédophilie. Inutile de chercher la cohérence, Joe devient une employée de gangster dont le but est de faire craquer des payeurs récalcitrants. L’anecdote en vient alors à raconter à un riche client un fantasme bien innocent comme il faut : celui du petit blondinet du jardin public voulant jouer avec lui. Le film balance la bombe incendiaire : louer les pédophiles qui ne passent pas à l’acte, osant reconnaître l’aphrodisiaque UNIVERSEL suscité par l’innocence, et généralisant largement cette pulsion dans la société. Seul un faible pourcentage passe à l’acte et fait effectivement du mal, les autres se contentent de garder l’indicible pour eux. La plus grosse claque morale possible est lâchée (et Lars ose placer « démocratie » et « hypocrisie » dans une même phrase : panard absolu en terme de provocation justifiée). Assumant son parallèle entre le mal causé par la pédophilie et la nymphomanie quand ils sont réalisés, on sent que Lars a abordé quelque chose de gros, avec un des tabous les plus indicibles de notre société (qui oserait en parler, sous peine de passer pour un défenseur des pédophiles, et par extension pour un pédophile car on n’est pas à un raccourci près), et l’avoir exposé sous un angle délicieusement subversif.
La fin se révèle être une bonne claque morale, détruisant une dernière fois les repères du spectateur avec le personnage de Seligman, qui encore au début de cette seconde partie de sa nature asexuée et qui finalement retrouve son appétit alors qu’une femme blessée commence à lui faire confiance. Une séquence monstrueuse moralement, dernier coup dans la gueule du spectateur, ancrant définitivement la sexualité comme la pulsion la plus puissante dans l’esprit humain. Un traumatisme pour la morale, et une victoire pour Freud. Un choix qui finalement brouille encore une fois la notion de bien et de mal, laissant le spectateur sans d’autres repères que les siens et ceux des personnages (qui évoluent selon le temps). Œuvre intense, plus sulfureuse dans le fond que dans la forme (moins de nudité, pas mal d’érection), Nymphomaniac est bien une œuvre à l’image de son réalisateur, que la volonté de provoc prétentieuse amène à s’interroger sur des sujets passionnants pour l’intellect. La pure œuvre de masochiste du cerveau.