En 1985, la Pologne est encore un régime communiste. Ça peut sembler une évidence pour certains, un détail inutile pour d’autres, mais c’est un fait qu’il est très important (voir indispensable) de connaître avant de se lancer dans "O-bi, O-ba – la fin de la civilisation". Réalisé par Piotr Szulkin, réalisateur prolifique mais paradoxalement peu connu à l’étranger, il s’agit donc d’un film d’anticipation, dans lequel les survivants d’une guerre nucléaire se sont réfugiés dans un dôme, attendant la venue d’un vaisseau spatial appelé l’Arche pour tous les sauver de cette misère quotidienne. On suit Soft, l’un des dirigeants de la petite société qui s’est mise en place, alors que le fameux abri commence à tomber en ruine.
Il y a beaucoup de similitudes entre "O-bi, O-ba" et "Brazil". Les deux films sont sortis la même année, utilisant tous deux la dystopie comme un moyen de tourner en ridicule leurs propres environnements politiques, teintés d’humour noir et surtout disposant d’un budget de petite taille (en tout cas, ils le laissent penser). Les styles visuels de Szulkin et de Gilliam sont même plutôt proches. Pourtant il existe une différence majeure : là où "Brazil" se lit comme une satire de la bureaucratie occidentale, "O-bi, O-ba" résonne comme une critique courageuse du monde communiste, et plus particulièrement soviétique. Récit d’un système imaginé comme salvateur que le temps a effrité, que la manipulation de ses dirigeants a complètement lobotomisé – le film de Szulkin est parsemé de symboliques fortes, et son engagement ne fait aucun doute.
Cependant on pourrait faire une autre lecture de "O-bi, O-ba". Si le contexte de sa sortie (influence croissante du mouvement de Lech Walesa en Pologne) nous dirigerait davantage vers une analyse politique du film, nombre d’éléments, comme le symbole de l’Arche, pourraient évoquer une diatribe de la religion dogmatique.
Au-delà de sa consistance de fond, "O-bi, O-ba" présente une réussite de forme. Szulkin donne à son film une atmosphère assez particulière, un travail énorme sur la lumière, sur les couleurs, sur les contrastes entre objets. Tout n’est pas parfait et le budget microscopique se fait souvent sentir, mais quelques plans vraiment géniaux et l’expérimentation visuelle de chaque instant maintient et renouvelle le plaisir que l’on peut prendre devant la réalisation de Szulkin.
Les limites artistiques de son statut de Série B sont habilement contournées, malgré le manque de pécunes, Szulkin se montre inventif et retourne la situation en sa faveur : les effets cheap, le glauque des décors et l’unité de lieu construisent l’atmosphère du film. C’est oppressant sans être insoutenable, le second degré en filigrane et les personnages volontairement caricaturaux ajoutent une légèreté bienvenue.
"O-bi, O-ba" c’est beaucoup de choses à la fois. Critique acerbe du communisme, récit d’anticipation pas totalement sérieux, série B inventive, expérimentation visuelle accomplie mais surtout perle injustement méconnue. A l’image de sa splendide affiche, le film de Szulkin est un objet intriguant, loin d’être unique et encore moins ce qui se fait de mieux dans le genre, mais un projet d’une rare ambition et d’un courage admirable qu’il faut recontextualiser pour en apprécier l’ampleur.