J'ai vu le film en deux fois. Non pas parce qu'il est lent - car il est lent. Mais d'une part, parce qu'il est dur psychologiquement et visuellement. D'autre part, car il propose une scène insoutenable, profondément dérangeante, balancée de manière brute et frontale.


Jong-Du, jeune homme un peu simplet, a purgé une peine de prison, apparemment pour avoir renversé et tué un homme. Libéré, il décide d'aller à la rencontre de la famille du défunt, et croise Gong-Ju, la fille de ce dernier, handicapée moteur. Quand bien même ces deux êtres éprouvent et ressentent, l'amour est-il possible en ce monde, en pareilles circonstances ?


L'oeuvre dans son ensemble semble pessimiste en fait, à quelques séquences près. Oasis est triste, glauque, malsain, il montre certains des plus bas instincts de l'Homme. Et il le fait sans pudeur, sans artifices, et - performance ô combien notable vu les thèmes abordés - sans jamais sombrer dans un misérabilisme qui aurait ruiné l'entreprise. La vérité fait souvent mal, surtout lorsqu'elle touche au handicap, qu'elle concerne tout un chacun, et qu'on se la prend en pleine figure, de manière si directe. L'indifférence devant le handicap ne peut laisser indifférent. Les abus et fraudes en tous genres de proches, le regard des autres, l'acceptation - ou plutôt la non acceptation du handicap dans la normalité pré-établie de notre société, encore moins.


Moon So-Ri est incroyable - ne connaissant pas la distribution, il m'a fallu attendre sa première apparition "normale" pour qu'enfin je réalise qu'elle n'était pas handicapée moteur. Et que dire des changements soudains opérés au sein d'une même scène, séquences durant lesquelles l'actrice passe d'infirme motrice cérébrale à jeune femme joviale, souriante et sautillante. C'est juste bluffant. L'imaginaire et la poésie prennent alors le pas sur le reste. L'oasis, pour le spectateur, ce sont ces moments de grâce où la crispation, le malaise, la rage redescendent. A l'image d'une étendue désertique, ces lieux où l'on récupère, où les sentiments humains réapparaissent en lieu et place des pires injustices, où l'euphorie retrouve un peu d’espace, sont rares dans le film. Ces instants précèdent systématiquement une douche froide à venir, synonyme de dur retour à la réalité. Si dans l'ensemble les acteurs s'en sortent bien, le personnage de Gong-Ju, si magistralement campé, prend un peu tout l’écran.



"I lost my faith in the summer time
'Cause it don't stop raining
The sky all day is as black as night
But I'm not complaining"



J'ai été un peu moins emballé par la performance de Sol Kyung-Gu. Il est vrai qu'il n'a pas un rôle facile, et il faut voir le petit bout de monument d'actrice qu'il a en face. Délaissé par sa famille - quand il n'est pas battu par l'un de ses frères, ce pauvre hère de Jong-Du accepte tout ce qu'on lui envoie à la figure, ce qui finit par être révoltant lorsqu'on possède toutes les pièces du puzzle sous les yeux. Ce qui pourrait être pris pour de la passivité ou de la résignation n'est ici que l'acceptation de ce qui pour lui est devenu "normal".


Oasis dresse un constat peu reluisant de la place accordée aux personnes handicapées dans notre société. J'ai lu ici et là que les malheureux étaient mal lotis au Pays du Matin Calme, n'étant soutenus la plupart du temps que par leur famille. I got news for you, le constat est global, mondial, il serait temps de s'en rendre compte et d'arrêter de croire que cela n'arrive qu'ailleurs. Espérer qu'ils s'adaptent d'eux-mêmes à un milieu qui peut déjà sembler hostile à une personne mentalement et physiquement saine - médicalement parlant - est une chimère. Redoubler d'efforts pour que les gens souffrant de handicap quel qu'il soit soient acceptés dans un monde prévu pour les accueillir, comme il accueille n'importe quelle autre personne jugée "normale", me parait plus constructif. S'il est encourageant de constater que de plus en plus de dispositifs et structures sont mis en place, en milieu urbain notamment, le plus dur sera sans aucun doute de changer le regard des gens.


En tout cas, Pif a eu le nez creux. Merci de m'avoir fortement incité à le voir mec - "incité", paye ton euphémisme ! On aurait dit Gag essayant pour la centième fois de fourguer son (excellent) Candy sérieux ! - même si le visionnage en lui-même aura été difficile. Il me tarde de découvrir d'autres oeuvres de Lee Chang-Dong, vu la maîtrise dont il fait preuve ici pour parler de choses graves sans céder à quelque effet facile que ce soit. Et puis vivement que je visionne d'autres films dans lesquels je pourrai admirer d'aussi chouettes performances de Moon So-Ri. Je sais, je demande la lune. Sorry.

Gothic
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le 26 avr. 2015

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