Après le succès de son premier film Tron : L'Héritage, Joseph Kosinsky s'est investi corps et âme dans la mise en chantier de son second projet pour le grand écran Oblivion, jusqu'à dessiner lui-même tous les croquis de son univers post-apocalyptique. En résulte à l'image un paysage global de désolation où ne subsistent que quelques vestiges de la civilisation, perdus dans une infinité d'étendues désertiques et irradiées où l'humanité elle-même semble ne plus être qu'un mot surgit du passé. Ce que vient contredire la présence de Jack Harper et de son équipière (et amante) Vicka, tous deux chargés de veiller au bon fonctionnement des gigantesques stations de pompage autonomes censés collecter toute l'eau des océans du globe pour la convoyer ensuite vers une nouvelle planète colonisée par les humains. Dans ce futur, l'humanité est sortit difficilement victorieuse d'une longue guerre contre une race d'envahisseurs. Mais l'ampleur du conflit nucléaire a défiguré à jamais la planète. Les survivants ont donc dû coloniser massivement une planète habitable. Harper et Vicka sont ainsi les derniers humains sur le sol Terrien, employés pour une durée définie à maintenir les machines opérationnelles et à les protéger contre les attaques récurrentes des aliens ayant survécus au conflit. Mais entre deux missions, tout en ressassant son passé d'astronaute, le soldat Harper aime à se perdre en pensée dans les ruines de l'ancien monde, rêvant à haute voix de matchs, de foules en liesses, de bruits, de vie... Un monde qui était et qui ne sera plus jamais. Jusqu'à ce que le crash d'un vaisseau ne vienne remettre en cause toutes les certitudes du protagoniste.
Pour son second long-métrage, Kosinsky va au-delà des attentes et livre un très bon film de science-fiction à la beauté formelle indéniable. Le réalisateur et scénariste s'amuse à construire sa narration autour de son protagoniste, crédibilisant ses certitudes pour mieux les anéantir. Le scénario s'articule ainsi autour d'une série de révélations plutôt bien emmenées aptes à déstabiliser tous les repères du héros (et peut-être ceux du spectateur). Et même si l'on regrettera que le réalisateur ne donne pas plus de place à la relation triangulaire centrale, on s'attachera simplement au personnage principal et à sa quête de vérité. D'autant que Kosinsky va jusqu'à amplifier méthodiquement les enjeux dans la trajectoire dramatique de son héros.
Certes, on pourra reprocher quelques similitudes thématiques avec un autre film de SF sorti deux ans plus tôt. Pour autant, Oblivion ne mérite pas d'être réduit à la simple comparaison tant il nous offre un formidable spectacle dont l'apparente (et trompeuse) sagesse dramatique n'a d'égale que l'ampleur visuelle et graphique qui s'en dégage.
Le film regorge ainsi d'idées visuelles proprement éblouissantes comme la scène de la piscine suspendue au-dessus du vide ou la soudaine entrée dans le champ d'un drone lors de la fusillade de la caverne. Qui plus est, Oblivion nous offre une succession de séquences mémorables dont une formidable course-poursuite dans un canyon ou cette confrontation ("presque" inattendue) dans le désert. Mention spéciale aux drones, véritables machines à tuer implacables évoquant sur certains aspects la détermination froide d'un T-800.
En fin de compte, il est regrettable que Kosinsky ne tire pas tout le potentiel de son intrigue plutôt originale (et faussement complexe) pour l'affranchir de ses références évidentes. Témoin, cette résistance humaine sous-employée (et qui ne fait jamais illusion) et cet acte final qui décalque la dernière bobine d'un célèbre film SF de Roland Emmerich. Pour autant, Kosinsky ne cède pas à la facilité et a la très bonne idée de monter son climax simultanément à un flash-back crucial. L'aboutissement de la dramaturgie du film trouve ainsi un remarquable écho dans les origines du protagoniste. D'une ampleur mondiale (voire universelle), les enjeux deviennent alors strictement personnels et impliquent la seule trajectoire dramatique de Jack Harper.
Cruise adopte un jeu plutôt sobre et donne assez d'épaisseur à son personnage pour lui permettre d'exister. Ainsi, les certitudes et les doutes de Jack Harper deviennent les nôtres au moins le temps du film. Quant à Olga Kurylenko dans le rôle de Julia, elle illumine chacune de ses scènes par son talent et sa grâce naturelle. Qui plus est, l'intégration de son personnage dans l'histoire fait office de catalyseur et finit par remettre en cause toutes les convictions de Jack, jusqu'à son existence. A noter également, l'interprétation convaincante de Andrea Riseborough dans le rôle secondaire de Victoria, l'équipière et amante de Jack dont les sentiments finissent par entrer en conflit avec le protagoniste. Pour ce qui est de Morgan Freeman, son talent suffit à donner de l'ampleur à un rôle minimaliste au possible.
Malgré ses quelques défauts, Oblivion est donc un très bon film de SF qui, au-delà de ses qualités visuelles évidentes, arrive à imposer une SF réflexive, très proche de ses modèles littéraires. Le film ne révolutionnera pas son genre mais reste suffisamment intelligent pour se démarquer du tout-venant hollywoodien. Et Cruise confirme à nouveau qu'il a du flair pour dénicher les bons projets SF.