Quadriptyque cinématographico-sentimental.
Oki's Movie, c'est un peu la démonstration de la folie démesurée de Sang-soo Hong, qui pour le simple plaisir de faire du cinéma, mais aussi tester ses limites, s'est fixé pour but de réaliser cette œuvre, en partant de rien, et alors que son précédent film, Hahaha, était encore en phase de post-production. Peu oseraient tenter ce genre d'expérience, soit parce qu'ils doutent d'eux, soit parce que le cinéma n'est pour eux qu'une source de revenus, ou soit parce qu'ils en sont incapables, ou encore juste par fainéantise. Et c'est sur ce sujet que Sang-soo lance une partie de sa réflexion, et ce dès son premier acte, « Un jour pour l'incantation », où la critique de l'industrie du cinéma est vive, pique évidemment là où ça fait mal, conservant une sorte d'humour noir assez déstabilisant. Mais tout comme un kakémono que l'on déroulerait doucement, Sang-soo réussit à trouver un équilibre dans son entreprise qui aurait pu se révéler complètement foireuse (son équipe technique était composée de quatre personnes, en plus de tout écrire à l'arrache, et tournée en 13 jours) et dépeint le portrait de Jingu, jeune cinéaste alcoolique qui cumule les bourdes, puis de Song, son professeur, mais aussi amant d'Oki, et c'est finalement dans la romance que la chaloupe s'embarque, usant de métaphores bien senties afin de proposer lors de son dernier acte une comparaison du cinéma passé et présent.
Bref, Oki's Movie est un film assez étonnant, criant de vérité grâce à des personnages qui ont été créés en fonction des trais de caractères des acteurs, qui plus est de talent (Lee Sun-kyun est formidable en Jingu, et Yu-mi Jeong incarne Oki avec une touchante délicatesse), et le tout étant tourné avec du matériel HD de base vient lui conférer un piqué encore plus naturel (en particulier durant la scène du baiser ou au lit).
Sang-soo Hong avait déjà été loin avec son Hahaha, mais cette fois-ci il semble vouloir s'extérioriser et révéler de façon plus claire sa légère tendance à l'alcoolisme par le biais de personnages qui lui ressemblent davantage que ceux de ses précédents films (dans Hahaha c'était un jeune homme qui l'était).
Chose importante à garder à l'esprit, il ne faut pas chercher de suite logique à l'œuvre, déjà parce qu'elle est narrée dans le désordre, mais également car les incohérences sont légion. Le but était de poser quatre types de situations, dans des espaces temps différents, afin de voir quelles pourraient être les réactions de nos protagonistes, et il est clair que ce type de narration expérimentale aura de quoi déstabiliser le néophyte (sentiment accentué par le titre du film, car même si les personnages gravitent autour d'Oki, Jingu reste le protagoniste le plus affiché à l'écran).
Pour conclure, les amoureux du cinéma de Sang-soo Hong trouveront là une pièce de choix, bien plus importante que son aspect bricolé pourrait le laisser penser. Les étrangers à l'artiste et à ce style narratif risquent d'être déstabilisés, et il leur faudra peut-être une seconde projection afin de bien en appréhender toutes les facettes.
Mention spéciale pour Lee Sun-kyun, donnant vie de façon surprenante à son personnage, à la fois excédant, pitoyable, ou encore attendrissant, en somme un vaste panel de mises en application de son talent qui finissent par enfoncer l'aspect essai universitaire de l'ensemble.
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