Chef d'oeuvre Post Moderne sorti dix ans trop tôt, Death Warrior car il s'agit là de son titre anglais ou Ölüm savasçisi dans sa langue d'origine, ici le turc.
Avant même que David Lynch ne voit germer en lui le succès d'estime tant attendu et qui ne sera finalement qu'une passade le cinéma turc est déjà en avance sur son temps. Le succès de Turkish Star Wars apporta à Cuneyt Arkin la possibilité de réaliser le film dont il a toujours rêvé.
Car si Turkish Star Wars était une machine bien huilée et en adéquation avec les attentes du public, une histoire pop aux relents d'aventure légère et pulp qui allait à coup sûr remporter l'adhésion du public, avec Death Warrior Cuneyt Arkin peut enfin prendre des risques. Ce film, oui ce film réalisera enfin sa vision peu orthodoxe d'une oeuvre d'auteur inspirée.
Scénariste sur le projet il ne se restreint à aucun moment et prend tous les risques pour cette fois montrer au public ce qu'il n'a pas envie de voir, ce qu'il pense ne pas supporter. Nous touchons là au post-modernisme le plus pur, les images présentées ne sont pas esthétisées pour objectif d'attirer l’œil, les images ont un texte, un sujet mis à nu loin des habillages colorés de son précédent film.
Pas de couleurs ici, tout est terne et gris jusqu'à la combinaison du personnage principal. L'antagoniste du film dans cette volonté de contré l'évidence n'a rien du mal incarné, ici ce n'est pas un extra-terrestre ni un monstre quelconque mais bien un homme, simple et qui dans une tentative désespérée essaie tant qu'il peut d'enseigner les rudiments d'une vie équilibrée à la nouvelle génération.
Le scénariste se prend au jeu et décide d'ailleurs de représenter le personnage principal, une façon de représenter le vrai rôle de ce personnage, il entre dans peu de scène et pourtant marque chacune de son emprunte. Son duel face à un homme en colère dure près de dix minutes, aux cris insoutenables se mêlent coups abruptes s'enchaînant sur une chorégraphie non conventionnelle. Pas de naturel dans ce duel, tout y est millimétré, chaque pas est important. L'objectif de l'auteur ici est autant de prendre à revers le spectateur fana d'action et de sports extrêmes de combat que de lui représenter la violence telle qu'elle est réellement, mis à nue le duel nous est présenté sous la forme d'une dans macabre insoutenable.
Toujours dans l'optique de ne montrer que la face rugueuse du cinéma turc au spectateur Cuneyt décide de plonger l'antagoniste principal dans l'ombre d'autres menaces plus implicites, les Ninjas tout d'abord. De part leur discrétion et leur pouvoir plus grand qu'il n'y parait tapie dans l'ombre, à l'abris du regard spectrale du grand public ici Cuneyt métaphorise sur la main mise du gouvernement, agissant dans l'ombre. De part la momie très peu présente dans le film et qui devait sûrement avoir une plus grande place dans le scénario d'origine il critique le spectateur lui-même, n'apparaissant que dans des lieux confinés et pourtant si réconfortante de la maison familiale. La momie sortant du lit pour attaquer un pauvre innocent est en fait le spectateur avide de grand spectacle décérébré au regard critique pauvre et n'ayant que faire du cinéma d'auteur qui lui à pourtant beaucoup à dire, n'y portant aucune attention il le laisse mourir.
Les bikers à l'allure de croc mitaines voient vite leur image balayée d'un revers de la main par Cuneyt, ils sont en fait frêles et se cachent sous une carapace à l'aspect rigide. En renversant le pouvoir établi de la hiérarchie de ces bikers il décide de leur ouvrir la voie, il ne cherche pas le contrôle comme les ninjas non il cherche à libérer les opprimés.
Le final n'en est que plus éclatant, alors que le personnage principal se voit devoir arpenter le chemin de sa liberté personnelle il doit faire face à a nouvelle génération, celle là même incomprise. Chaque corps à terre est un fantôme de plus qu'il enjambe, et c'est là que toute la dramaturgie de ce scénario prend toute son ampleur : aveuglé par ses principes et par son devoir de sauver ce qui peut encore l'être il ne comprend pas que l'antagoniste ici, c'est lui.
Lui qui dès les premières images essaie de libérer les esprits pauvres par tous les moyens n'a pas encore compris qu'il représente à lui seul ce contre quoi il se bat. Si les esprits ne veulent pas être sauvés alors pourquoi les forcer ? En leur dictant ce qu'il advient de leurs vies il ne vaut pas mieux que les Ninjas, que la société elle-même,que les spectateurs qu'il critiquait en milieu de film et c'est alors qu'il arpente la dernière ligne droite le menant au terminus qu'il comprend enfin.
Mais il est déjà trop tard, il ne veut plus faire demi tour, pas après tant d'épreuves et choisit l'aveuglement. Il n'a plus d'esprit critique, devant l'ennemi désigné il ne veut q'une chose, ce que tous les spectateurs dans la salle voulaient jusqu'à présent : du sang, de l'action.
Et c'est par un duel d'une dureté inimaginable que le film se termine, l'antagoniste en flamme, Cuneyt le visage sombre, perdu.
Il s'est en fait battu, contre lui-même. Et alors que son oméga brûle, qu'il se transforme en cendre, il se sent coupé en deux. Pas de paix pour les hommes.