Le générique montre une salle d'audience vue du haut, qui cède sa place, après un panneau, au visage, serré de près, d'Omar Raddad sur le banc des accusés. Si Omar m'a tuer est un film de procès, la justice dont il se préoccupe n'est pas l'institutionnelle dont il va tâcher de montrer les inconséquences et les lacunes.
Le fil narratif est assuré par l'artifice d'un écrivain fictif, Jean-Emmanuel Vaugrenard. Seule entorse à la manière de filmer quasi documentaire du réalisateur, celle-ci n'est pas anodine. Le film alterne ainsi les séquences d'enquête menée par l'écrivain (Denis Podalydès) et les scènes qui suivent le calvaire d'Omar (Sami Bouajila) dont la caméra reste toujours très proche. Face au tragique absurde du supplice d'Omar, Podalydès ne parvient pas à départir l'incarnation de son personnage d'un burlesque qui est l'exacte caractérisation de l'esprit qui bute devant l'absurde. Contraint d'aller sur le terrain, l'homme de lettre met son corps à contribution parce que la preuve de l'innocence est physique. Elle demande à confronter le corps dans le temps, dans l'espace et dans sa puissance. Temps que l'on met à parcourir une distance, capacité à écrire dans le noir, force d'une vieille femme, etc. L'indignation qui nous rend solidaire de la souffrance d'Omar, lisible sur son visage, naît de la matérialité de la preuve. (Les insuffisances de la procédure ne font aucun doute à l'issu du film.) Et ce sont ainsi deux mondes qui sont filmés, réunis à la faveur de l'enquête. Deux mondes que tout sépare. Celui de l'écrivain blanc de droite et celui de l'immigré arabe analphabète.
On est tenté de penser au rapport que fait Barthes du procès Dominici, où la différence des langages rend la communication impossible entre un accusé s'exprimant en patois et une cour usant de la langue de sa suffisance, communication impossible parce que l'écart permet à la justice de substituer à l'expression de l'accusé le discours qu'elle veut, et la psychologie qui va avec, quoiqu'il en soit, la sienne. Ici, c'est le silence d'Omar, impuissant à s'exprimer qui semble réclamer d'être meublé, son absence qui se somme de se montrer. Dans le film les lacunes sont omniprésentes mais avant tout, en Omar. Et comme sur la blancheur d'un écran, tout peut s'y projeter. Ainsi ce que dénonce Roschdy Zem, c'est le désir des accusateurs d'en faire un coupable.
Pour autant la barrière du langage ne joue pas entre Omar et Vaugrenard. Leurs deux mondes se réunissent parce qu'il existe un sentiment commun de la Justice qui dépasse les clivages sociaux et culturels. Il y a en Vaugrenard un Zola (Maître Vergès rappelle l'affaire Dreyfus au début du film) vite évacué à la fin. Vaugrenard reçu Académicien, on entend son discours par les oreilles d'Omar dont il ne saisit pas un mot. Le miracle a eu lieu, les deux mondes se séparent de nouveau. Le photographe qui les arrête dans les couloirs de l'Académie en témoigne qui fait sortir l'écrivain du portrait qu'il veut prendre d'Omar Raddad. De même, le réalisateur s'efface à la fin du film que signe le visage du véritable Omar Raddad.
Pour pompeux qu'il soit le discours de Vaugrenard est pourtant révélateur et dénonce l'ambition du film. Romancier, Vaugrenard a écrit un reportage, une enquête. Autrement dit, il est allé puiser dans le réel la matière de son ouvrage. C'est bien le projet de Roschdy Zem et la présence de l'écrivain fictif est là pour lui rappeler les limites qu'il s'est fixé. La tentation était grande d'aller imaginer, de chercher des solutions du côté de la fiction. Or les seules images de fiction concernant l'affaire, sont les reconstitutions imaginées par l'accusation. Ainsi cette scène où Vaugrenard descend vers la cave où a été retrouvé le corps, à la recherche d'indices qui n'auraient pas été trouvés. Il s'arrête à la porte. Le film milite pour l'indétermination du réel et plaide en faveur du bénéfice du doute. Parce qu'il n'importe pas qu'il existe des preuves de l'innocence d'Omar Raddad, tant qu'il n'en existe pas de sa culpabilité. Toute la fiction prend sa part dans le silence des traits de Sami Bouajila, où la communauté de la douleur, la communauté de l'indignation, la communauté de l'incompréhension se retrouve et prend corps.
Deleuze commentant Artaud rappelait que la phrase « j'écris pour les analphabètes » pouvait se comprendre en deux sens : ou bien « j'écris à l'intention des analphabètes » ou bien « j'écris à la place des analphabètes ». C'est à cette manière de dire que Roschdy Zem filme pour les illettrés.
reno
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le 8 juin 2011

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