Après avoir déjà collaboré sur Smoking/No smoking, le tandem Bacri/Jaoui rempile avec le patriarche Resnais tout en gagnant en visibilité, puisque le traditionnel duo Azéma/Arditi cher au cinéaste leur cède les premiers rôles. On retrouve donc un avant-goût de ce qui deviendra leur cinéma quelques années plus tard avec Le Goût des autres ou Comme une image : une étude de mœurs un brin ironique sur un groupe d’individus se débattant, dans une mélancolie post-moderne, avec les invariants sentimentaux. La thésarde ayant brillé sur un sujet d’histoire dont tout le monde se fiche (« c’est bien que quelqu’un en parle », tentera avec diplomatie le personnage d’André Dussollier), le pseudo chef d’entreprise inventant sa vie pour camoufler ses échecs, le mari invisible ou l’amoureux effacé composent ainsi une chorégraphie modeste aux saveurs bien françaises, dans un milieu bourgeois parisien que le cinéma national affectionne tant.
Ce traitement local est d’autant plus prononcé que le film s’invente un dispositif qui le voit flirter avec la comédie musicale : à intervalles réguliers, les personnages entonnent des chansons célèbres pour mettre en voix leur tourments intérieurs, qu’il s’agisse d’hypocondrie, de conseils (« Résiste ! », particulièrement convaincant sur les lèvres de Sabine Azéma), de colère, d’apologie de l’amitié ou de cris d’amour.
La formule est amusante, parce qu’elle joue d’un entre-deux : le lyrisme propre à la comédie musicale n’est jamais atteint, et l’artifice du playback totalement assumé, dans la mesure où des hommes peuvent entonner des chants féminins, (splendide duo Dussollier/Bacri sur du Jane Birkin, qui fera par ailleurs une apparition pour se réapproprier sa propre musique), et un même personnage passer des chansons des années 30 à du Bashung. La singularité nécessite donc un temps d’adaptation – une formule qu’on pourrait appliquer à la totalité des films de Resnais. Si l’aspect compilatoire domine dans un premier temps, avec une légère sensation de vanité, le parcours des personnages ajoute progressivement quelques failles qui les rendent plus touchants, et dépasse le simple catalogue à prétextes pour convoquer le répertoire des hits de Radio Nostalgie. La ville est elle-même une sorte de musée, commentée par la guide, et ce vernis historique, renforcé par les chansons du passé, empêche pleinement l’incarnation des personnages. Mais quelques dissonances, comme cette insistance sur les vacarmes hors-champ, laissent néanmoins entendre les désillusions et les drames à venir. Les malentendus qui régissent la plupart des relations, entre les mensonges de l’un et les maladresses de l’autre, la dépression qui ne dit pas son nom ou l’incompréhension d’un comportement, sont peut-être des indices sur la manière dont les personnages doivent être appréhendés. Des êtres complexes qui peinent à se définir, et trouvent dans la vanité du paraître un premier réconfort, avant celui de mélodies toutes faites issues de la mémoire collective. La tension croissante du récit achèvera d’exposer leurs failles, jusqu’à un long final qui les place tous dans un même bocal (idée renforcée par les surimpressions insistantes de méduses) pour une observation expérimentale comme les affectionne Resnais. Un bouillon de culture proche de l’ébullition menant à une catharsis qui, si elle n’a pas une grande profondeur sur le plan du scénario (méchant séducteur puni, réconciliation conjugale, émergence d’un nouveau couple), confronte à la vérité des protagonistes qui enrichissent d’une profondeur nouvelle des chansons que nous connaissons tous.
(6.5/10)