Banlieue Romaine, de nos jours, Enzo traine sur son sofa. L'appartement est merdique, le papier peint élimé, les meubles tiennent à peine debout. Lui, on le retrouve affalé comme une baleine échouée, à mater du porno en slibard, démontant des stocks entiers de Danette goût vanille, la clope au bec et le soldat frustré prêt à dégorger. Putain de vie, putain de loque qu'Enzo. Un traînard de longue date qu'il est, à toujours se fourrer dans des coups tout pourris. Le dernier en date l'a d'ailleurs foutu dans une sacrée mélasse. Alors qu'il échappe à des types, notre Enzo national se retrouve forcé de se cacher dans la flotte. Un baril submergé se rompt sous ses pieds ; il est enfermé dans le cercueil sous-marin, contraint de se prendre toute la substance qu'il contenait en pleine gueule. Touché mais pas coulé le bonhomme. Il en réchappe, retourne à ses habitudes, ne se rend pas compte que sa petite vie de merde vient de prendre un départ tout nouveau...
Un nouveau coup se prépare avec Sergio, un mec de son immeuble dont la fille est sévèrement psychotique. La mission est la suivante : extraire de la dope du bide d'une mule. Rien de bien extraordinaire. Sauf que le type passe l'arme à gauche et que le pote qui l'accompagnait commence à péter son câble ; abat Sergio comme un chien, tire sur Enzo, le jetant de neuf étages sur le bitume. Se prenant pour Bruce Willis dans Incassable, Enzo est parfaitement indemne, que tchi, peau de balle, nada.
Par la suite et sous la holà d'un public en mal de sensations nouvelles depuis que Marvel a complètement sclérosé le genre, nous suivrons l'avènement de celui qui va se présenter comme un super-criminel/héros qui s'ignore. Pour l'aider dans son parcours, Enzo va, malgré lui, se coltiner Alessia, la fille de Sergio dont le délire psychique l'amène à considérer l'existence comme le reflet de la série animée Jeeg Robot, son seul refuge face à l'effondrement, prenant au passage Enzo pour Hiroshi Shiba, un héros au service du bien et de la justice. Bien que désintéressé par les honneurs duent aux grands justiciers, Enzo va tout de même se retrouver confronté à un joyeux connard, un chef de bande se faisant appeler le Gitan ; ersatz magnifique du Joker, accro de la violence et du bon mot.
Pouvoir mater un film de genre Italien en 2017, c'est pas rien. Que le cinéma Italien franchisse nos frontières pour nous apporter autre chose que de petites comédies sans grandes prétentions, ce n'est pas rien non plus. L'ombre d'Argento & Cie semble si lointaine...c'est bien dommage. C'est pour cette même raison que Jeeg Robot ne saurait être pris comme une énième Origin story de super héros comme il en existe maintenant des tas, mais comme une bouffée d'air frais, fleurant parfois des senteurs classiques (c'était déjà le cas avec ce film russe, L'Eclair Noir, qui faisait nettement moins le café, davantage la biscotte restée trop longtemps dans le grille pain), classiques, donc, mais pas seulement.
Jeeg Robot s'octroie de plus la prestance de proposer une palette de couleurs diverses et variées, oscillant du comique presque burlesque au sombre drame qui pique au vif et assèche les larmes de la franche poilade. Ce rapport ci, on ne va pas l'obtenir en forçant le trait et en créant des archétypes monolithiques. On va l'obtenir à force de plonger dans des constructions de personnages réalistes, si je puis dire.
Avec Enzo, on découvre un homme ni mauvais ni bon : un homme. Et un homme pareil c'est parfois maladroit, étrange et rigide.
Avec Alessia, c'est la folie qu'on va vivre, folie qui trouve justement sa logique et qui va nous octroyer quelques moments d'une rare tristesse.
Enfin, avec le Gitan, c'est la pulsionnalité dévorante, l'inextricable impuissance et le désir de grandeur, de reconnaissance, pas seulement des siens mais du monde.
A mon sens, c'est ce qui rend ce film si vivant, si, non pas audacieux mais charismatique, avec une identité propre, un style personnel et somme toute assez esthétique. Une grande réussite.