Si ce film ne divise pas sur ce site, c'est loin d'être le cas dans tous les secteurs. Plusieurs de mes amis, pourtant Tarantiniens de la première heure, se sont retrouvés déconcertés par un scénario ne menant "nulle part", des séquences longues et rances, la trame Sharon Tate finalement accessoire. Pour moi, ces réactions prouvent plusieurs choses, et toutes sont positives.
Beaucoup de gens, consciemment ou non, attendaient de ce film la recette habituelle : dialogues stylisés, préludant des scènes bien violentes, le tout saupoudré de vannes bien noires et d'un esprit de lâcher prise. Comme dit Première : "Chez Tarantino, les bons mots sont roi, le cinéma triomphe toujours". Il en a usé de cette formule, au point que je me suis demandé lors de la sortie des "8 Salopards" s'il était capable d'écrire sur des protagonistes n'étant pas hors-la-loi. Je m'étais également demandé si ces 8 films lui ressemblaient tellement ? Ce ne sont pas des questions, à ma connaissance, que beaucoup de gens se sont posés. Bien que j'aimais déjà Tarantino, comme tout le monde (DiCaprio a d'ailleurs fait un rapprochement très intéressant avec Kubrick, dans le fait que chaque sortie de ses films déclenchait l’événement- ce film-là ayant été particulièrement médiatisé), je trouvais qu'il avait ses limites et ne cherchait pas spécialement à aller au-delà, explorer une nouvelle manière de raconter une histoire. Et puis vint ce film. Il fait alors exactement le contraire de sa recette habituelle. Les dialogues n'ont rien de stylisés, malgré quelques bons mots. La seule scène violente du film intervient après 2 h 20 de film. Le film n'est pas vraiment drôle (sauf apparemment Bruce Lee qui se bat, selon le public un peu raciste avec lequel j'ai regardé le film). L'histoire est volontairement prise de tête, et aborde des thématiques hyper sérieuses. Au lieu de faire un scénario classique, il décide d'en faire une fresque déguisée en métaphore gigantesque de son propre univers, de ses fondations fantasmées enfant, et de mettre en scène une agonie intronisée dans le rythme global du film. Les séquences sont construites comme des fragments, des pièces de puzzle ne s'assemblant que grâce à l'amour du cinéma. La trame Sharon Tate est là pour signifier une menace omniprésente, celle du meurtre qui peut surgir de n'importe où, même de la gloire. Même la fin n'a rien de "Kill Bill" ! Donc, forcément, c'est inhabituel pour le public. Certains ont compris avec le recul, d'autres ne l'ont pas accepter. Mais en faisant tout ça, Tarantino a prouvé à mes yeux qu'il était un grand Artiste, parce qu'il alors passé l'épreuve de l'oeuvre tellement personnelle qu'elle a déstabilisé tous ceux qui n'ont pas compris le vrai fond de son oeuvre, à savoir les désillusions jamais cicatrisées de son enfance.
Même si ce n'est pas son meilleur film, ce long-métrage somme est son plus personnel, et sans doute celui que je respecte le plus. Pas le meilleur cependant, parce qu’étonnamment DiCaprio est complètement écrasé par le charisme taré d'un Pitt enfin ressuscité (année du come back pour lui !). Par ailleurs, la relation entre ces deux personnages ne fait pas totalement crédible, à cause du peu de scènes où cette amitié est mise en valeur. En même temps, c'est la première fois que Tarantino met en scène une relation amicale n'attendant aucun profit financier en retour ; même Vincent Vega et Jules dans "Pulp Fiction" ont davantage une relation de collègue ! Et puis, même si je trouve la fin audacieuse, la dernière séquence du film est IN-TER-MI-NABLE ! Et là, y'a aucune excuse. Enfin, on peut reprocher une BO moins marquante que d'habitude. Mais tout cela a finalement peu d'importance. L'important, c'est que Tarantino ait ici dévoilé les racines de ses inspirations, sa vision de ce que devrait être le cinéma, la perte de ses amours imaginaires. L'important, c'est que Tarantino s'est enfin délivré de ses propres archétypes. Il s'amuse comme jamais à tourner, c'est évident ; mais ici, en plus, il se prend à mélancoliser. Quitte à détourner, à mettre des références ardues, il s'en fout. Et il a bien raison. C'est à ça qu'on voit un véritable Artiste.
Il était une fois Tarantino. Il était une fois un gosse déguisé en gangster, tenant un pistolet à ketchup.