Phénomène Tarantino oblige, Once Upon a Time in Hollywood est un événement majeur. Pour son neuvième film, le réalisateur offre énormément : une revisite hollywoodienne, des références, une œuvre hommage à un cinéma disparu et à ses fantômes.
Il était une fois…les hasbeen d’Hollywood
Pour porter à l’écran l’âge d’or d’Hollywood, le cinéaste propose dans son menu un acteur de western (Leonardo DiCaprio) vaincu par une industrie qu’il ne reconnait plus, ainsi que son cascadeur attitré (Brad Pitt) devenant l'homme à tout faire de la célèbre ex-star.
Le personnage de Rick Dalton n'est déjà plus que l'ombre de lui-même. Inquiet de sombrer et même de disparaître définitivement des écrans, sa détresse l'expédie dans une profonde dépression difficile à surmonter. Mais alors que Rick Dalton présente sa propre notion de l'échec, en conservant toutefois son luxe et son train de vie de toujours, le personnage de Cliff lui dévoile un sort bien moins reluisant. Brad Pitt incarne ce loser piégé dans l'ombre de l'acteur qu'il double sans jamais espérer la moindre miette de popularité. Un vieux beau gosse cool qui rejoint sa caravane miteuse et mange les mêmes pâtes tous les soirs face à un acteur en déclin un brin divas égocentrique sur les bords.
Si avec deux grands comme DiCaprio et Brad Pitt on pouvait craindre une lutte pour devenir l'acteur vedette de l’œuvre, l’histoire du duo permet de tisser une amitié touchante qui lie les deux amis comme les deux faces d'une même pièce. Chacun apportant à l'autre sans jamais se bousculer. Seul le personnage de Sharon Tate (Margot Robbie) conserve une vue de son passé d’actrice avec drôlerie et bienveillance, comme s’il s’agissait d’un souvenir lointain et irrécupérable, mais très heureux.
A travers le destin de ces deux hommes et de Sharon Tate, Tarantino parvient à narrer la mutation d’Hollywood en mélangeant le réel et l’imagination. On débarque dans une époque marquée par son environnement politique et social jusqu’à y déceler ses propres polémiques en restant cependant agrippé au monde cinématographique. Le réalisateur dépeint sa passion démesurée pour le cinéma et son exploitation, en n’oubliant pas de nous parler de cette époque à la fois belle et sombre sur le point de muter en un Nouvel Hollywood. Un film hommage dont la recette n’est autre que de la nostalgie saupoudrée de mélancolie, et inondée de bienveillance.
Il était encore une fois…les polémiques à deux balles
Le fait est que nous vivions une époque malsaine bourrée de conflits abscons, et Once Upon a time in Hollywood figure de toute évidence parmi la longue liste des cibles de nos inquisiteurs modernes. Les polémiques qui tournent autour de la dernière production de Tarantino sont à l’image de celles que nous avons l’habitude de voir depuis un moment déjà, elles sont vaines et souvent ridicules. Loin d’une telle pensée de jouer à ce jeu absurde, il est parfois jubilatoire de voir à quel point des films comme Once Upon a time in Hollywood choquent et à quel point Tarantino est capable de plonger tête baissée dans la fosse sans une once d’inquiétude. En l’occurrence, les idées valent plus que la mentalité défaillante qui guette le moindre faux pas pour brasser de l’air.
L’un des reproches fait à l’égard du film est la représentation des femmes soi-disant désavantageuse. Il faut dire que Rick et Cliff prennent ensemble une place importante au sein de l’intrigue, mais c’est toujours pour les malmener avec un passé perdu qui ne reviendra jamais et dans une tristesse profonde. Sharon Tate est au final dans une situation similaire, coincée également dans la nostalgie de son passé et de son succès d’autrefois. A l’inverse cependant, l’actrice incarne le seul élément heureux de l’intrigue. L’élément qui regarde avec joie son passé plutôt qu’avec du malheur, même si elle sait qu’elle ne pourra jamais le récupérer car c’est avant tout un souvenir tendre et radieux. D’ailleurs, l’une des plus belles séquences est celle où Sharon Tate assiste à la projection d’un de ses films dans une salle de cinéma et où elle scrute les réactions des spectateurs. Un sourire s’affiche sur son visage au moment où une communion prend place durant le visionnage du film, car les spectateurs passent tous un bon moment et se mettent à rire. On peut également ressentir des émotions à la vue de cette femme innocente et pleine de vie, en connaissant à l’avance son destin tragique. C’est d’autant plus étrange de trouver des accusations comme celle du sexisme en sachant que Tarantino est le réalisateur d’un film illustrant l’un des meilleurs personnages féminins du cinéma : Beatrix Kiddo (Uma Thurman) pour Kill Bill.
Toujours dans l’idée d’une mauvaise représentation de la femme à l’écran, Once Upon a Time in Hollywood ferait des violences conjugales un élément humoristique tandis que le meurtre de sa moitié serait encouragé. A travers cette remarque, il est bien évidemment question de parler du présumé meurtre de Cliff sur sa femme lors d’une sortie amoureuse en bateau. A cela, la réponse est qu’on n’encense pas un homme en héros parce qu’il a tué sa femme, mais au fond le cinéma a toujours mis en avant des personnages dotés d’une noirceur évidente ou cachée, et que l’on aime suivre.
Dernière polémique pour la route, et sans doute la plus propagée dès la bande-annonce, celle de l’affrontement entre Cliff et Bruce Lee. Évidemment, après la misogynie il fallait bien que la carte piège racisme soit posée. Dans les faits, Cliff se moque de Bruce Lee qui est lui-même la caricature du ninja maigrichon qui pousse des cris de vierge pendant et après chaque coup. En accord avec l’une des ambiances priorisées par le film et les drôleries disséminées ici et là, il fallait s’attendre à une opinion moqueuse de la part de Cliff sur ce personnage stéréotypé. A raison donc, le personnage se moque de Bruce Lee mais toujours pas de racisme en vue mon Capitaine. Le fait d’exprimer une moquerie ne représente heureusement pas une attaque envers un continent tout entier. Dans un autre exemple et en forçant le trait, le fait d’exprimer une moquerie sur les blondes ne fait pas de son auteur un blondophobe.
Œuvre hommage à défendre
Tarantino s’amuse à narrer la fin d’une vieille époque à laquelle beaucoup de personnes s’accrochent. Plongé dans l'ambiance fin des 60's, les références sont nombreuses (pour le plus grand plaisir des passionnés) tandis que Tarantino peint toute la beauté et la noirceur de cette époque sur le point de muter.
Si nos inquisiteurs modernes veulent d’un monde à la « Démolition Man » où on ne peut plus rien dire ni plus rien faire, fort heureusement ce monde n’existe pas encore. D’un autre côté, le cinéma a encore les armes pour exprimer ses idées librement et les défendre face aux polémiques.
Dans cette ville, tout peut changer d'un seul coup.