Réalisateur majeur de son époque, précurseur de nombreuses cinéphilies, Quentin Tarantino, auteur des révolutionnaires Reservoir Dogs et Pulp Fiction, s'était enfermé, de Kill Bill aux Huit Salopards, dans une paresse de réalisateur sachant parfaitement où titiller son public pour lui plaire. Arrosant ses films d'une attitude cool outrancière, d'hectolitres de sang comiques et de répliques toujours plus ciselées, la recette se répétait avec plus ou moins de réussite.


Once Upon a Time... in Hollywood était, dans ce sens, attendu au tournant : s'il promettait une expérience nouvelle à ses spectateurs, la prise de risque allait-elle être réelle, ou seulement feinte? On comprend, dès son premier plan, que c'est un autre délire dans lequel Tarantino s'est engouffré; loin de ses exubérances habituelles de séries b ultraviolentes et jouissives, il pose sa caméra, ses personnages, ses dialogues sur un joli noir et blanc. L'ambiance est posée, Once Upon a Time sera calme, détendu.


Loin de ses excès, le réalisateur semble avoir changé d'optique d'auteur : s'il était auparavant un gamin s'amusant avec les idoles de sa jeunesse, généreux en délires explosifs et références à tout va, il semblerait que cette nouvelle oeuvre soit le film de la maturité d'une carrière prolifique à nulle autre pareille, une sorte de madeleine de Proust aimante d'une époque révolue, à laquelle il ne se contente pas de rendre un hommage classieux : il la fait vivre, la réécrit, la modélise selon ses souhaits de cinéphile.


En ce sens plus historien que véritable gamin rêveur, il amène à son cinéma une nouvelle manière d'aborder le Cinéma : par l'inclusion du tournage et de la télévision dans le récit, il module sa caméra pour permettre une mise en abîme vertigineuse, où l'on répétera des plans au grès des erreurs de texte de Rick Dalton, mouvement de caméra parfaitement reproduit qui fait monter une tension saisissante : notre has-been réussira-t-il à écrire son texte, à se sortir de son cinéma pour épouser celui des Polanski, des cinéastes de grande cours, avec une promesse de carrière et des films fascinants à tourner?


C'est un peu, peut-être, la question que devait se poser le réalisateur au moment de tourner ce neuvième opus de sa fantastique carrière; comment se dépêtrer de plus de dix ans de stéréotypes, de reprises, de références, au final de peu d'invention véritable? En se réinventant, bien sûr; chose plus facile à dire qu'à faire. Il y est parvenu haut la main, de main de maître. Sa manière de narrer les histoires, de les filmer a considérablement évolué; on sent l'évolution de son processus d'artiste, une sorte de maturation de ses capacités de cinéaste jusqu'au stade supérieur.


Devenu l'égal des grands qu'il adule (à quelques exceptions prêt), Tarantino cesse de titiller la cinéphilie du public, de conforter dans leurs positions les néophytes qui se croient cinéphiles parce qu'ils aiment Pulp Fiction et comprennent une référence sur cinq présentes dans ses films; il fait un film pour les amoureux du cinéma, non pas les cinéphages, ceux qui comme lui auront grandi dans les western spaghetti (qu'il insulte allègrement, avec une détente hilarante), l'Hollywood classique, les western des années 50, tous ces films désormais peu grand public qui passionnèrent, fut un temps, les foules.


Ce qu'il laisse en hémoglobine, il l'ajoute non plus en références; il cite : multiples, ses citations, hommages concernent autant des acteurs que des films, des figurants en studio que des panneaux publicitaires entraperçus au détour d'une scène de balade en voiture, où le spectateur se retrouvera emporté aux côtés des monstres Pitt et Dicaprio, qui s'ils n'ont plus rien à prouver, démontrent qu'ils font partie des meilleurs interprètes de leur génération, et que leur duo, jamais vu jusque là, intègre le panthéon des plus grandes rencontres d'acteurs au cinéma.


De son casting légendaire qu'on ne présentera plus, Tarantino tire encore plus d'hommages que de citations; entre les figures qu'il invente et les célébrités de l'époque, il réécrit l'histoire du cinéma, le sien, celui qui le passionne et qu'il aime comme une femme; ce n'est ainsi pas étonnant d'y croiser un Al Pacino producteur et passionné par ce qu'il produit, à la fois homme d'affaires et artiste, à la manière d'un Tarantino post Kill Bill.


A cela s'ajoute une tension omniprésente, Tarantino jouant parfaitement avec des codes d'angoisse qu'il aura lui-même instauré; la visite du camp de Manson reste un summum dans le genre, où le réalisateur passera, sans hésiter ni prévenir, du registre horrifique à la comédie, avec une efficacité redoutable. Se trouve à relever, dans cette scène, une utilisation très intéressante de la musique, en référence à ces films des années 50-60 où elle jouait une place primordiale dans l'horreur.


C'est ici que l'on comprend que la mise en abîme ne s'arrête pas à l'oeuvre dans l'oeuvre : bien plus originale, poussée et profonde que ce qu'il nous laissait paraître, Once Upon a Time... in Hollywood se sert de la fiction dans sa fiction comme d'un élément impactant sur les émotions de son spectateur. A l'image de cette télévision qui lui sert de bande-son, il rend son oeuvre si méta et réflexive sur son sujet qu'elle en vient à se fondre dans l'oeuvre qu'elle contient, ne formant plus qu'un tout incroyablement compact et crédible jusqu'à ce fantastique plan final, à l'hommage magnifique à Sharon Tate, dans lequel Dicaprio aura atteint un paradis tant espéré, sur l'arrivée brutale du titre, signe que Tarantino aura fini de nous conter son histoire d'Hollywood, sans s'être gêné, auparavant, pour revenir à la charge sur son style ultra-violent dans une scène ultra-violente gérant parfaitement, une fois de plus, les détails du scénario que le spectateur pensait acquis pour de bon, où sa réécriture de l'histoire semble encore plus réelle que l'Histoire actuelle.


Du moins, on aimerait bien.

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le 16 août 2019

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FloBerne

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