L’aventure d’Hollywood est pleine de rêves et de mirages bâtis sur les collines d’une industrie usante établie autour d’une unité expérimentale (innovation technique, filmique…) et d’un corps sériel (code établi des films, des séries et des suites à succès) dont le produit final reste toujours unique – chaque film incorpore dans son élaboration des éléments différents. C’est cette double réalité que Tarantino injecte dans son dernier long-métrage à travers les codes graphiques de son univers propre et l’originalité de son approche qui prend la forme d’une mise en abîme opulente. Car il ne faut pas s’arrêter à l’histoire présentée ici, à savoir le parcours d’un acteur sur le déclin (Rick Dalton), bloqué dans son rôle de méchant, et de son ami cascadeur (Cliff Booth), cow-boy provocateur, embarqués sans le savoir dans l’une des affaires criminelles les plus sordides de l’Amérique (celle de la « Manson family »). La question essentielle du film est bien la suivante : comment parler de la matrice – Hollywood comme usine à rêve – sans tomber dans le mirage d’une pluie d’étoiles brillantes ?
La machine à remonter dans le temps
Tarantino prend ici le parti de traiter le sujet sous la forme d’un conte en incorporant comme à son habitude un récit unique et individuel à la marche des événements historiques (un acteur de seconde zone à la fin des années 60). Prolongeant la série des films de Sergio Leone (L’Ouest, la révolution et l’Amérique), il ouvre une faille temporelle pour y glisser une histoire plausible. Avec Once Upon a time…, l’événement a eu lieu ou aurait pu se produire de la sorte, introduisant ainsi le conditionnel et l’ouverture des guillemets. En impulsant une dynamique de variation à l’intérieur d’un schéma historique donné, Tarantino s’offre la possibilité de corriger ce qui a été selon son désir (le vrai massacre n’aura pas lieu). Le film incorpore à cet effet plusieurs réalités : le cadre historique des années 60 (l’illusion documentaire parfaite) ; l’héritage contemporain de deux figures opposés (le cinéma mental de Leonardo DiCaprio et le cinéma physique de Brad Pitt) ; la permutation à l’écran du rôle des deux acteurs (l’acteur devient comédien et le cascadeur acquiert une autonomie nouvelle).
Ce qui impressionne surtout dans ce dernier film, c’est la restitution parfaite du cadre historique. La connaissance large et profonde du cinéma dans son ensemble offre une fois de plus à Tarantino cette faculté à venir puiser dans un fond d’images pour sa documentation filmique. Il se fait ici historiographe en nous livrant une leçon magistrale, celle du maître qui déconstruit pièce après pièce les éléments identitaires du cinéma américain (et en particulier le western, cinéma américain par excellence). Le rôle du réalisateur devient même essentiel pour articuler les changements à l’œuvre dans l’époque charnière des années 60. Le film bascule rapidement de la simple reconstitution à la disposition élaborée de morceaux choisis sur le puzzle de la scène médiatique (arrivée du couple Polanski-Tate à la soirée Play-Boy, tournée italienne des western spaghetti avec Rick Dalton).
Le cow-boy sensible
Tarantino s’amuse à bousculer la position de ses acteurs à l’écran. L’acteur passif à fleur de peau (cris de larmes et de colère permanents) joué par DiCaprio – DiCaprio enfin dompté par la présence de Pitt à l’écran ? – se laisse volontiers dépasser par son cascadeur attitré, cow-boy des temps modernes accroché au volant de sa limousine. De même, Tate se prête au jeu de spectatrice de son propre film lors d’une séance de cinéma. Cette duplication des rôles (acteur/cascadeur et comédien/spectateur) crée une suite de rapports de dépendance comblés par l’ironie grossièrement pathétique de scènes surréalistes (Combat avec Bruce Lee, dialogue avec la jeune actrice). La présence à l’écran de ces deux anti-héros permet surtout à Tarantino d’exister plus que jamais comme le troisième larron invisible de l’histoire à travers les extraits choisis de films de série B et les boucles référentielles qui tissent un lien avec ses précédents films (Inglorious Basterds pour la scène du lance-flamme).
Une histoire du cinéma
Avec Tarantino, pas besoin d’images d’archives pour évoquer l’atmosphère d’une époque ; une adaptation personnelle de la figure bancale du mercenaire/cow-boy suffit. Film le moins bavard de l’univers Tarantesque, Once Upon a Time… in Hollywood est pourtant celui qui en dit le plus. L’épanchement se fait à travers les reproductions ou les extraits de films et non plus à la force de l’anecdote ou de dialogues interminables. Les personnages se font d’ailleurs plus pragmatique (Cliff Booth circonspect et prudent avec la femme Hippie) ou sensible (Rick Dalton au bord des larmes). Au-delà de s’insérer dans une histoire du cinéma, compagnon de jeu de toujours du réalisateur qui ne passe pas à côté de la scène de genre du massacre final, Tarantino nous livre un film beaucoup plus contemplatif et travaillé notamment dans les scènes de courses en voiture (plutôt gratuites) et ses travellings de révélation à la manière de Hitchcock qui font peser en sur les personnages une menace permanente (voitures au loin dans la rue, remontée du portail à la porte d’entrée de la maison).
En transformant le mouchoir de poche richement brodé de ses premiers films (faible intrigue saturée de dialogues) en nappe de Damas (tissage de liens stables avec son univers iconographique), Tarantino montre qu’il est moins sculpteur d’images que couturier offrant au regard du spectateur son amour pour le cinéma.