De l'amour à la haine il n'y a qu'un pas

Attirance et répulsion sont les deux maîtres mots de la passion. L’homme est toujours seul et la passion ne dure qu’un temps. D’abord violente et charnelle, celle-ci se mue progressivement en objet de dégoût. On cherche à y échapper mais elle revient sans cesse nous harceler. C’est la dure expérience que font Andreas Winkelman et Anna.


Derrière la fascination de l’autre se cache toujours le mensonge de sa propre existence. L’autre est vu comme un moyen de s’extérioriser, un exutoire tout illusoire. Peut-on vraiment analyser la personnalité de l’autre, la comprendre ? Cela est impossible et pourtant on s’accroche désespérément aux formes et aux idées que celui-ci veut bien nous montrer.


En dernier lieu, seule la manifestation corporelle nous livre une partie du mystère de l’autre. C’est là tout le travail de Bergman sur les visages, expressions du désespoir, du dégoût, du désir, de la peur. Il arrive à saisir ces changements vitaux et incontrôlables qui nous prennent au dépourvu et nous laissent veules, sans énergie après l’effort fourni.


Chacun essaie de combler les vides de son existence avec les moyens dont il dispose. S’entourer de livres (Andreas Winkelman), s’entourer de photos est inutile (Elis Vergérus) ; cette accumulation protectrice dissimule pourtant un besoin vital de trouver dans l’autre le réconfort auquel on aspire. Tel cet homme qui classe et qui conserve religieusement des émotions prises sur le vif, capturé et sortit de son contexte, l’homme cristallise des instants de vie. Pure égoïsme. Derrière la puissance des expressions, c’est sa propre existence qu’il cherche à comprendre. Mais même avec la photo, l’illusion ne dure qu’un temps, à l’image du constat amer que tire Ellis Wergerus : « En regardant une photo on imagine des choses. C'est factice, c'est un jeu, de la poésie. On ne peut pas lire un visage et en tirer des indices. Pas même sur l'expression de la douleur physique »


L’autre est impénétrable et son regard est insoutenable. La relation entre Andreas et Anna devient progressivement explosive. La violence permet d’exprimer cette souffrance. Elle surgit à tout instant, latent ou visible, et se manifeste par l’agression physique ou le cri du désespoir. Cet autrui dévastateur et envahissant nous perce de toute part et nous contraint à aller toujours plus vers l’avant, dans une fuite éperdue contre nous-mêmes. Anna, dans sa quête de vérité, trouve dans le mensonge un exutoire étouffant en constatant que le monde ne correspond pas à la vision qu’elle en a. L’homme se dissimule la vérité ; dans la solitude, cette opération d’obstruction est possible, il semble facile de magnifier une réalité qui n’a toujours été qu’imaginaire. Mais l’autre, par sa présence insidieuse, vient sans cesse nous rappeler nos erreurs. Il est vain de vouloir s’isoler ; nous sommes toujours rattrapé par notre passé et l’autre n’est jamais loin non plus, lui qui montre aux yeux de tous notre vraie nature. « L’enfer, c’est les autres » mais nous édifions nous-mêmes les murs de cette prison. L’usage de notre liberté nous y enferme.


Les personnages souffrent chacun à leur manière. Le deuil, l’abandon, l’incompréhension sont autant de maux qui démultiplient la passion du titre en une multitude de réalités concrètes. Cette souffrance est nécessaire et les personnages ne peuvent vivre sans elle. L’horreur et la folie ne sont jamais loin, manifestations concrètes de ce supplice. Le film se termine sur la démarche mal assurée de l’un des personnages, qui, désorientée, ne sait plus quelle direction prendre : la folie le guette.
FrançoisLP
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le 23 avr. 2014

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