Pouvions-nous rêver meilleur événement ciné que ce neuvième Tarantino pour dynamiter la période estivale ? Certainement pas, d’autant que cela faisant dix ans que le bougre faisait parler la poudre (ses derniers long-métrages sont éloquents) avec, encore et toujours, son savant doigté référentiel. Pour autant, le sujet d’Once Upon a Time... in Hollywood augurait un changement de cap notable avec pour toile de fond l’industrie cinématographique de la fin des années 60... et le fameux assassinat de Sharon Tate et consorts par les disciples de Charles Manson.
Mais si nous pouvions « craindre » qu’il ne serait pas le plus tape-à-l’œil, aussi bien dans la forme que le texte, Once Upon a Time s’apparente finalement à l’œuvre la plus « personnelle » d’une filmographie transpirant son amour du septième Art : entre hommage malicieux à toute une époque qu’il affectionne et traits caractéristiques de son cinéma, Quentin Tarantino se fend d’une toile aussi touchante qu’enthousiasmante, telle une fenêtre ouverte sur une année charnière qu’il fantasme ici à sa manière.
En dépit d’une durée impressionnante, le long-métrage a pour mérite premier d’être incroyablement digeste, et ce quand bien même ses trois premiers quarts seraient des plus posés dans leur exécution. Par l’entremise de portraits à la limite du « Coenesque » (outre sa thématique rappelant de loin Avé César!), Once Upon a Time nous dresse le tableau bigarré d’une fin de décennie chamboulée comme chamboulante : un Hollywood en pleine mutation, mais aussi un contexte historique assujetti à la Guerre du Viêt Nam et l’influence du mouvement Hippie, soit un cocktail à même de favoriser une narration non-linéaire.
Avec son duo de has-been, Rick Dalton et Cliff Booth, Tarantino parvient à lier ces différentes facettes en un tout tortueux mais en tous points passionnant : d’abord en tant que témoins d’une période transitoire les affectant directement, mais également par l’entremise d’incursions dans notre « réel » confinant au délectable, quand bien même il s’agirait de simples lubies « récréatives » (Booth VS Lee, Dalton et sa « Grande Évasion » etc.). Si le procédé pourrait paraître ronflant de prime abord, il est pourtant si fluide dans son exécution que la sauce prend diablement bien : en filigrane d’une atmosphère mêlant habilement mélancolie et lecture taquine, l’intrigue se paye d’autant plus le luxe d’accoucher de deux portraits tous deux fascinants à leur manière, les affres personnels et professionnels de Dalton nous transportant au gré du jeu épatant de DiCaprio tandis que Pitt endosse à la perfection le rôle de l’anti-héros ambivalent.
Sans jamais céder aux sirènes du sensationnalisme, Once Upon a Time fait donc plutôt mine de verser dans une relecture sincère mais originale de l’Hollywood d’alors, chose d’autant plus patente via le prisme de Sharon Tate : la prestation littéralement solaire de Margot Robbie laisse coi, même si l’infortunée paraîtrait candide à bien des égards... mais force est de constater que cette « déferlante » d’amour est un contrepoids des plus bienvenue à l’imagerie hippie, ici assez égratignée (les podophobes seront certainement plus crus à son sujet). Bref, le long-métrage constitue de bout en bout un voyage à nul autre pareil, et nous pouvions penser que celui-ci se conclurait dramatiquement au retour des deux inséparables à Los Angeles... vraiment ?
Bien au contraire, le récit opère contre tout attente un tour de force à l’aune de son dénouement explosif : alors que tout destinait la paire Rick/Cliff à un rôle « satellite », il s’avère finalement qu’ils seront bien plus que de simples spectateurs de la tuerie « des Polanski ». Prenant à contrepied l’ensemble de sa lente et parcimonieuse construction, Tarantino nous offre ainsi une réécriture sortie de derrière les fagots : le plus fort étant que, par-delà le potentiel hilarant (tirant aux larmes) de cette séquence proprement hallucinée, tout fait sens dans le giron de son cinéma passionné comme passionnant. Il y a donc d’abord cette verve frisant l’hystérie collective, les trois apprentis-assassins tombant ici sur un os des plus conséquents, la frénésie abrupte de Booth nous faisant passer par tous nos états... jusqu’à que Dalton, tiré en trombe de sa paisible détente, ne parachève une séquence tout feu tout flamme.
Pouvait-il en être autrement finalement ? Convenant avoir été des plus naïfs quant à la « bonne tenue » de Tarantino, il n’empêche que l’effet aura été des plus estomaquant. Puis vient cette ultime rencontre nocturne, celle où réalité à la trajectoire modifiée et fiction se rejoignent pour de bon : un tomber de rideau empreint d’une folle douceur, à ceci près que celle-ci contraste de mille feux (encore) avec cette véritable « vendetta » scénaristique.
Once Upon a Time est donc une surprise d’autant plus belle que, connaissant la patte de Tarantino, il dénote tout en ne trahissant rien : une claque comme on en reprendrait plus souvent en somme.