--- Bonsoir, voyageur égaré. Te voila arrivé sur une critique un peu particulière: celle-ci s'inscrit dans une étrange série mi-critique, mi-narrative, mi-expérience. Plus précisément, tu es là au quatorzième épisode de la septième saison. Si tu veux reprendre la série à sa saison 1, le sommaire est ici :
https://www.senscritique.com/liste/Vampire_s_new_groove/1407163
Et si tu préfère juste le sommaire de la saison en cours, il est là :
https://www.senscritique.com/liste/les_petites_sirenes/3094904?page=1
Et si tu ne veux rien de tout ça, je m'excuse pour les parties narratives de cette critique qui te sembleront bien inutiles...---
Mon premier réflexe pour cette critique a été d'écrire « NEIIIIIIL JORDAAAAAAAAAAAAN !! <3 <3 <3 ». Mais, étant donné que j'esquive déjà l'exercice depuis deux jours, avec des critiques qui n'en sont pas vraiment, je vais essayer ce soir de m'y plier plus sérieusement. D'autant plus que cela compensera le fait que, peut-être, sûrement même, le film de ce soir est quelque peu hors sujet. Pas de sirène, ça c'est certain, l'accroche du film « croyez-vous au sirènes ? » n'a certainement rien compris au film. Une selkie, peut-être, en fait non, mais quand même si, j'explique : Martin dans le deuxième mois-vampire n'était sûrement pas non plus un vrai vampire. Dans l'absolu, aucun de ces deux films n'est réellement un film fantastique. Dans l'absolu ce sont des films très rationnels, traitant, l'un de la maladie mentale, l'autre du trafic de drogue (?). Certes oui. Cependant, chacun de ces deux films vient alimenter la réflexion autour du personnage du monstre au cinéma, bien plus parfois que des films qui ont les deux pieds dans le fantastique (oui Van Helsing, c'est toi que je regarde). Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que la sirène (la selkie aujourd'hui, on en reparle plus tard) cherche à se justifier une existence au cinéma. Si on va dans ce sens, ni Mr. Peabody et la Sirène, ni Night Tide ne sont des films de sirènes. Hors ils en sont, indéniablement. La seule différence entre ces films et Ondine est qu'on y a vu la créature, en accédant soit aux rêves soit au délire du personnage principal. Donc qu'il y ai réellement ou non après le dénouement du film réellement une créature n'est pas un critère, ce qui fait foi c'est la foi justement des personnages du film en l'histoire fantastique, qu'ils choisissent de croire, ou de réfuter, contre laquelle ils lutent ou pour laquelle ils lutent, c'est selon. Mais en tout cas, le point commun, ce qui énonce peut-être une définition absolue pour moi de ce qu'est un film de monstre est cela : une mythologie est convoquée, et les personnages du film, qu'ils soient réellement humains ou non, ont à se positionner vis-à-vis de ces croyances. Et ces positionnements vont déclencher le scénario, l'alimenter, engendrer des relations et des évolutions de relations, vont, surtout, définir profondément la personnalité des protagonistes, et raconter tout une palette de sentiments qu'aucun autre thème ne saurait creuser avec autant d'intensité, parce qu'il convoque directement une réflexion sur ce que c'est, parallèlement, d'être humain. Alors en ce sens, Ondine est parfaitement un film de monstre, profondément, passionnément, et je dis ça sans aucune mauvaise foi qui serait véhiculée par un profond désir de dire beaucoup de bien de mon adoré Neil Jordan.
Un film de monstre ok, un film de selkie, on l'a dit, mais un film de sirène ? Pardon, cette fois je vais peut-être utiliser un peu de mauvaise foi, mais, entre nous, les selkies c'est juste une sous-race des sirènes non ? Faire un mois selkie ça n'aurait aucun sens, déjà que personne n'est capable de se mettre d'accord sur la définition des sirènes. Un coup elles peuvent se transformer en humaines un autre non, un coup elles chantent, un coup elles sont muettes... Tous les ans je râle après des films qui altèrent n'importe comment les légendes (oui Blade, même après toutes ces années tu continue de me décevoir), mais cette année j'ai très vite abandonné la chasse à l'embrouille, tant la sirène était changeforme. Certes il y a des explications à ça, étymologiques principalement, puisque la langue française a jugé bon de rassembler sous le même mot des créatures très différentes, de deux mythologies distinctes. Ainsi les « mermaids » issues des mythologies scandinaves ont elles fusionnées avec les « sirens » de la mythologie grecque. La porte ouverte bien sûr au grand n'importe quoi. Les anglophones ayant eu le bon goût de garder deux mots distincts, Hollywood a été un peu épargné, mais moi-même j'ai joué à l'ignarde car je voulais absolument voir ce mois les sirènes d'Ulysse (par chance elles n'apparaissent pas à l'écran, j'ai donc pu continuer de faire l'idiote en toute impunité, sans manquer, tant qu'à faire, de me plaindre de cette non-présence à l'écran). Tout ça pour dire que si la langue française à décrété qu'une femme ailée au chant envoûtant était la même bestiole qu'une femme avec une queue de poisson sans talent particulier pour la chanson (parfois muette même dans certaines versions), j'ai tout à fait le droit de décréter que sirènes et selkies sont suffisamment ressemblantes pour se partager l'affiche d'octobre 2023. Le mois sirènes-selkies donc, c'est rien que pour toi Neil Jordan. Et après presque une page à justifier pourquoi j'ai le droit de faire une critique de ce film, il serait grand temps de s'y mettre. Neil Jordan, a jamais bloqué dans les années 90, nous livre encore une fois l'un de ces films envoûtants dont il garde le secret. Même maintenant que je commence à avoir vu un nombre raisonnable de ses films, je ne pense pas pouvoir donner la recette de ces films qui marchent sur moi dans 100% des cas. Je me suis demandée hier si ce n'était pas la musique. Toujours à la limite d'être trop présente, elle est cependant toujours choisie avec soin, accompagnant avec justesse le monstre, ses problématiques, ses émotions et son entourage. Sigur Ros, comme un point de pivot entre le féerique et le rationnel, c'était si évident et si habilement trouvé que seul Neil Jordan était capable de l'exploiter comme un levier scénaristique proche du twist. Je me suis demandée également si ce n'était pas la photographie. Quelle que soit l'année de production de ses films, Neil Jordan a les années 90 qui lui collent à la peau. Les teintes drastiquement froides du film d'hier, ses paysages en plongée douce, ses peaux soyeuses et ses ambiances brumeuses n'y faisaient pas exception. Même si Neil Jordan semble s'être donné pour objectif de changer de superstar de l'ASC à chaque film, il tient un je-ne-sais-quoi de l'ADN des années 90, que j'appelle comme ça faute de mieux, même si je sais qu'il l'avait inventé déjà 10 ans plus tôt avec La Compagnie des Loups. Comme pour la musique, presque trop appuyée, dansant habilement sur ce « presque » comme un funambule. Il y a un autre point commun aux films de Neil Jordan, un talent original que j'avais déjà pu montrer du doigt lors de ma dernière critique le concernant (c'était pour Byzantium) : Il a un talent certain pour rendre ses personnages charismatiques. N'en ayant aucun lui-même, il sait soit rendre encore plus hypnotisant un comédien déjà connu (ça passe beaucoup par les cheveux longs, mais franchement ça marche, que ce soit Tom Cruise dans Entretien avec un Vampire ou ce soir Colin Farrell, je n'aurais jamais pensé que l'un comme l'autre puisse être aussi séduisant), soit trouver en casting la perle dont il a besoin, et la magnifier à la perfection avec des rôles qui semblent avoir été écrits sur mesure. Après toutes ces sirènes vides, ces fausses blondes cochant toutes les cases des canons de beauté et étant au final parfaitement fades, après un mois dans lequel la plus belle sirène était en pâte à modeler, la voilà enfin, la sirène selkie parfaite, dont l'apparente pureté cache une force féroce, dont les traits gracieux se révèlent sidèrant de beauté quand son masque d'innocence fond et révèle son étrangeté. Ma dernière piste pour percer le secret du cinéma de Neil Jordan, seraient ses scénarios et ses personnages. Simples en apparence, presque (encore) caricaturaux, il leur insuffle un zeste de profondeur qui suffit à plonger dans des abîmes de questionnements, et à se donner corps et âme à aimer ces personnages. Maniant le thème du monstre comme personne, l'exploitant dans une bonne partie de ses films, Neil Jordan joue avec ce sujet à humaniser tout son casting, humains, bêtes ou suspects, tous, confronté à la monstruosité et au surnaturel, se révèlent. Colin Farrell qui n'y croit pas, puis qui sombre en s'abandonnant à l'illusion, sa fille qui livre sa plus grande bataille pour maintenir le mythe du coté de la réalité, la créature elle-même qui révèle son adresse en apprenant à s'emparer de la légende pour l'aider à dissimuler ses secrets, tout cela est brillant. Sans selkie ou prétendu selkie, le film aurait été quelconque. Mais Neil Jordan a su l'habiller de féerie, et, même en faisant le choix de quitter sa peau de phoque de fantastique à la fin, son film reste prisonnier de son aura d'onirisme, le révélant encore une fois puissamment intense et sublime.