Only God Forgives est plus proche de Valhalla Rising que de Drive.
Là où le précédent film suivait un personnage pour l’explorer dans sa complexe intimité, là où le mutisme intriguait, Only God Forgives reprend l’universel constat de l’impasse humaine dont le silence n’est que la plus pure expression.
Julian, impressionnant Ryan Gosling dans la continuité de Drive, et son frère Billy tiennent une salle de Muay Thai à Bangkok, y organisent des paris clandestins et y écoulent héroïne et cocaïne. Dans la chaleur torride des nuits thaïlandaises, l’un aime les fillettes jusqu’à les laisser baigner sans un souffle dans leur sang quand l’autre souffre de ne pouvoir aimer comme il voudrait. Sur le quartier cependant règne la justice immédiate du chef de la police locale, imperturbable Vithaya Pansringarm, une justice nocturne et sanglante. Quand Billy est massacré, Julian cherche à comprendre mais reste impuissant face à la violence de son aîné. Leur mère, insupportable Kristin Scott Thomas en blonde pétasse américaine, fraîchement débarquée, ne l’entend pas comme ça.
À ses yeux, seule la violence et le sang paient pour la violence et le sang.
Nicolas Winding Refn continue de livrer
un cinéma absolument graphique,
et son directeur de la photographie Larry Smith sublime chaque plan, chaque ambiance. Monochromes rouges, ombres et lumières, bleus électriques et jaunes verdâtres denses. Lignes et géométries, couloirs et ruelles en labyrinthes, symétries, zooms lents. Les portraits sont au grain de la chair, les corps dansent et vibrent. Les nuits sont irrespirables, inextricables. Les jours, à peine moins étouffants, laissent quelques rares échappatoires. Le seul travelling circulaire vient perdre le personnage principal, lui tournant la tête jusqu’à l’écueil, quand tout ce qu’il cherche désespérément serait un semblant de normalité, quand il ne souhaite que dépasser son impuissance à avoir la moindre emprise sur le monde qui l’entoure.
I want us to pretend that we’re a couple.
Si le scénario encore bien mince semble ne rien raconter, s’il filme une violence froide sans créer d’émotion, le temps du montage laisse le loisir de se poser les bonnes questions. La précision millimétrique du cinéma de Nicolas Winding Refn éloignera ceux qui ne souhaitent qu’un divertissement. Pour le cinéaste danois, le cinématographe et l’art ne sont point objets d’imbéciles appréciations éphémères mais
les moyens de raconter l’homme, l’époque, la société.
Only God Forgives. Seul Dieu pardonne. Les hommes eux, traquent et tuent. Les hommes font avec ce qu’ils ont, les mains deviennent des poings, les sabres tranchent bras et poitrines, le sang coule. Les corps ici-bas ne sont que marchandises ou viandes mortes.
La violence n’engendre que la violence. Mais c’est là le seul instinct véritable de l’animal.
La fascination de Nicolas Winding Refn pour les déchaînements agressifs n’exprime jamais, film après film, que
cette irrépressible bestialité qui guide l’homme,
et Only God Forgives vient étayer l’impasse collective de nos sociétés qui privilégient toujours la loi du talion à la discussion. Celui qui mène n’a pas à s’expliquer, celui qui subit ne sait trouver les mots.
Ne restent alors que les poings.
Only God Forgives.
Seul Dieu éclaire l’humain, mais je gagerais volontiers sur l’athéisme du cinéaste, souffrant autant que Julian, de l’enfer que sont les autres.
Impasse et perd.