Only Lovers Left Alive, comment un film avec un tel titre a-t-il pu passer inaperçu au dernier festival de Cannes ? Le nouveau film de Jim Jarmush raconte les errements de deux âmes perdues dans une époque qu'il ont du mal à comprendre. Adam et Eve, peut-être les premiers et les derniers amoureux de l'humanité, s'aiment depuis plusieurs siècles et visiblement leur amour est leur seule raison de vivre.
Jarmush, cinéaste underground qui sait mieux que personne esquisser à grands traits une génération a réalisé de grands films dans les années 80 et 90. Mais depuis une petite dizaine d'année, le réalisateur indépendant semble en mal d'inspiration, en témoigne le peu inspiré et trop théorique The Limits of Control. Serait-ce peut-être le XXIe siècle qui le dérange ? Avec Only Lovers Left Alive, Jarmush clame sa nostalgie de la fin du siècle. Détroit, symbole d'une économie en perdition dans une époque révolue est au centre de son dernier film. Avec un opéra transformé en parking, la ville américaine symbolise mieux qu'une autre le ''c'était mieux avant''. L'idée géniale et inespérée des vampires permettent à Jarmush de poser des principes d'éternité, comme la musique, la littérature et bien entendu : l'amour.
Dans ce film les artistes sont littéralement éternels, ils ont traversé les époques et sont donc à même de comprendre les maux du monde. Il se peut que les génies que nous admirons soient en réalité des vampires, comme Christopher Marlowe, contrairement à ce zombie et plagiaire de Shakespeare. Adam a composé des symphonies attribuées à Schubert, Jarmush a réalisé Mystery Train... Et nous autres, pauvres mortels, ne sommes qu'une bande de philistins. Only Lovers Left Alive est donc plus que jamais l’œuvre d'un artiste mélancolique.
Comme souvent chez le réalisateur de Stranger Than Paradise ou de Down by law on nous montre la rencontre de personnages venant d'horizons différents, et leur difficulté de communiquer. Adam et Eve sont de respectables vampires, s’approvisionnant de sang dans les réserves des hôpitaux. Le cœur du film est bien sûr l'arrivée encombrante d'Ava, censée personnifier la vulgarité de notre époque. La jeune vampire, grande consommatrice de sang, ne sait pas se tenir, elle aime les programmes bidons à la télévision et pire, ne sait même plus aimer, allant jusqu'à boire à la veine dès le premier soir, au XXIe siècle (!), l'homme qu'elle convoitait.
Ce film aurait largement mérité un prix de la mise en scène à Cannes, voire beaucoup plus. On est happé dès les premiers sons de guitare par la douceur, le romanesque et l'authenticité de cette ballade gothique. Only Lovers Left Alive est le film d'un dandy nostalgique préoccupé par la déculturation grandissante de notre époque. C'était sans compter sur la plus grande des actrices, Tilda Swinton, qui nous fait définitivement tomber amoureux du film. Preuve que nous sommes toujours vivant.