Only lovers left alive est un long-métrage en couleur de Jim Jarmush sorti en 2014. Ce réalisateur a souvent l’habitude de dépeindre des réalités sociales politiques et culturelles à travers des fictions toujours poétiques et très référencées (Brocken Flowers inspiré du mythe de Don Juan par exemple). Son but premier ; tisser la réalité que l’on oublie. Pas celle de la télévision, de la publicité ou des médias, mais le sous-texte, l’arrière-réalité, le vrai, au détriment du beau et du paisible.


Adam est un suicidaire romantique blasé par la déliquescence du monde moderne. Il passe ses journées à composer de la musique qui le rend connu et attractif contre son gré. Eve, quant à elle, vit en errant dans les rues de Tanger, elle échange très souvent avec son ami vampire qui n’est qu’autre que Philipp Marlowe lui-même. Lorsqu’elle apprend le désir mortem de son amant, elle décide de le rejoindre à Détroit pour le faire changer d’avis. Alors que le couple d’éternel se retrouvent et philosophent ensemble, la petite sœur d’Eve, Ava, vient perturber ces retrouvailles jusqu’à même bouleverser totalement la vie des amants maudits. 
Le scénario semble à la base plutôt simple et léger ; une histoire d’amour entre deux vampires perdus dans une époque qu’ils méprisent. Cependant, la force de Only lovers left alive, c’est justement que l’histoire ne sert strictement à rien. Le scénario est, à mon avis, un prétexte à la contemplation et à la réflexion. Nombreux sont les dialogues dans ce long-métrage ; Adam et Eve ressassent constamment des époques révolues plus ou moins anciennes. De plus, ils font l’éloge des grands artistes et scientifiques qui sont restés des figures incontournables dans notre monde. Ils sont cités dans les dialogues, omniprésents dans les décors (ancien opéra, poster chez Adam, livres chez Eve) et même présent en chaire et en os (Philippe Marlowe, comme « ami-vampire »). Ces thèmes (le temps, la nostalgie, l’aseptisation du monde moderne) sont toujours utilisés dans les films « basiques de vampire ». Les dialogues-radotages-pseudo-hipster en deviennent donc presque ridicules et comiques ; _C’était mieux avant, Les humains de nos jours sont des zombies!_ C’est du surfait mais on aime ça! Les vampires sont les vieux de notre monde. Ils en deviennent plutôt mignons et attachants… Ils ne comprennent pas de nombreuses choses car ils sont enfermés dans une nostalgie éternelle. Toujours à la recherche du passé, ils en oublient de profiter du présent dont ils en diront probablement du bien plus tard. Ce film est une histoire sur le temps et sur la vision culturelle et sociologique de notre monde. Par Zombie, Jim Jarmush veut probablement dire que nous devenons aveugles. Only lovers left alive est un véritable plaidoyer pour l’art qui est de nos jours commercialisé, recopié, re-recopié et muséalisé. L’art en lui-même n’existe plus, et l’humain en tant qu’individu pensant disparait (il est intéressant de compter le nombre d’humain humanisé dans ce film d’ailleurs.) On voit très souvent des silhouettes, mais peu de conscience…
La contemplation se trouve aussi dans l’image (qui est magnifique en passant). Les plans, très souvent, sont composés comme des œuvres picturales à part entière. Ce sont comme des photos ou des peintures qui prennent vie. Encore une façon de faire un rapprochement à l’art, c’est aussi une invitation à l’observation. Jim Jarmush nous offre un regard extérieur, inhumain et intemporelle. Que ce soit dans les moments d’inaction (scène d’intérieur) ou dans les moments de déplacement des deux acolytes. Lorsque Eve erre dans les rues étroites et vide de Tanger, nous avons l’impression d’être à ses côtés, les mouvements de caméra sont absolument fantomatiques et planants, ce qui donne une ambiance très particulière, poétique et envoutante. D’ailleurs, si l’on parle de cette idée d’envoutement, il ne faut pas oublier de mentionner la musique qui sait apporter du rythme ; Sombre, enjouée, crépusculaire, nostalgique, elle dépeint, elle aussi, avec brio le ton de ce long-métrage. Image et musique forment ici une parfaite osmose qui va venir embellir le film et lui donner de la consistance.
Tom Hiddelston et Tilda Swinton interprètent leur rôle d’une façon très intéressante. Il faut souligner que leur physique et façon d’être dégagent déjà, à la base, quelque chose d’atypique et d’étranger qui se fond idéalement avec l’ambiance du film. Avec leurs « mimiques » de vampire intello-blasé-suicidaire, ils font rire, ils attendrissent et nous font découvrir « leur monde ».

En somme, Only lovers left alive reste un très bon film bien qu’il effleure le stéréotype et qu’il soit parfois dans le « To much » (trop plein de références, personnages clichés, trop de lenteur). L’esthétique du film dans l’ensemble est splendide que ce soit par l’image, l’ambiance créée ou encore par la musique. Ce long-métrage nous hypnotise et nous projette dans un autre monde, la fresque édénique d’Adam et Eve, un microcosme à la Jarmush à découvrir sans plus attendre.

Sophie_Chaffaut
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le 21 mai 2015

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Sophie Chaffaut

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