De ce troisième long métrage du Chinois Wèi Shū-Jūn, je retiens qu’il aurait tendance à séduire ceux qui y cherchent un sens caché, alors que son scénario laisse perplexe par bien des points.


Sans rapport avec la suite, la première séquence montre un jeune garçon jouer dans un bâtiment qu’il explore à partir d’un couloir particulièrement sale. Soudain, il ouvre une porte qui donne sur le vide ! En effet, l’immeuble est en pleine démolition.


Des observations révélatrices de l’absence de signification précise à chercher dans ce film policier dont l’action se situe dans les années 1990 ?


Dans la petite ville de Banpo, une vieille femme se tient au bord de l’eau avec un objet genre canne à pêche qu’elle dirige vers un canard. Veut-elle l’attraper ou juste l’inciter à se rapprocher d’elle, difficile à cerner. Toujours est-il que derrière elle, on voit un bras se diriger vers son cou, armé d’un objet genre serpette. Bien entendu, l’assassinat lui-même n’est pas montré, grâce à un cadrage serré. Mais, peu de temps après, le film s’intéresse à une enquête menée par des policiers ayant découvert le corps de la vieille femme, alertés par le garçon qui l’a découvert. Ce garçon qui demande à voir l’assassin, affirme ne pas avoir eu peur. Il ajoute néanmoins qu’il avait hâte que son père le suive sur le lieu de sa découverte, car il craignait que les adultes ne le croient pas.


Menée par l’inspecteur Ma Zhe (Yilong Zhu), l’enquête se focalise sur des indices, des témoignages et des pistes finalement peu probantes. L’enquête de voisinage révèle que la victime se promenait régulièrement, se contentant apparemment de dire bonjour en passant. Par contre, depuis un certain temps, elle était accompagnée d’un homme que tout le monde désigne comme le fou parce que nul ne sait qui il est ni d’où il vient. De plus, il ne s’exprime pas et se montre craintif, façon idiot du village. Mais la victime ressentait le besoin de s’occuper de quelqu’un et d’avoir de la compagnie, alors le duo fonctionnait.


Quant aux indices, près du corps on retrouve un sac à main de femme qui, très probablement n’appartenait pas à la victime. Par contre, on y trouve une cassette audio. C’est l’occasion de dire que le film est adapté d’une nouvelle du Chinois Yu Hua considérée comme une œuvre d’avant-garde dont le réalisateur a conservé la trame. L’indice de la cassette colle avec la période décrite. Par cohérence, Wèi Shū-Jūn filme en 16 mm avec une pellicule, technique désormais dépassée car coûteuse. Outre de la musique sentimentale, la cassette fait entendre des messages à tendance poétique révélateurs d’une histoire d’amour secrète. Ainsi, le lieu du crime, n’était pas si désert que cela. Un autre témoignage émerge qui amène Ma Zhe à interroger un coiffeur qui se comporte en coupable d’office, mais qui agace plus qu’il n’apporte. Bref, l’enquête piétine et Ma Zhe sombre progressivement dans une déprime ponctuée de visions grotesques et au moins un cauchemar en lien avec l’enquête. Pour ne rien arranger, lors d’un examen médical, Ma Zhe et sa femme enceinte apprennent que le bébé présente un vrai risque de naître porteur d’une maladie inquiétante pour son avenir. Or, madame refuse l’avortement de façon catégorique ! Pour couronner le tout, deux autres meurtres apparemment en lien avec le premier, viennent compliquer la donne. Et son chef refuse la démission de Ma Zhe.


Parmi les points cruciaux négligés, l’essentiel tourne autour de l’enquête. Le passé de la victime n’est pas approfondi, alors qu’elle était veuve et qu’on la désignait par un surnom. Personne ne s’intéresse au pourquoi de ce surnom. Quant au fou, aucune enquête parallèle n’est menée pour tenter de retrouver ses origines. On se contente de l’enfermer dans un asile et le commissaire fait savoir à Ma Zhe qu’on demande à boucler l’enquête rapidement. Pour quelle(s) raison(s) ?


Et quand le fou s’échappe, son chef demande à Ma Zhe de le retrouver. Ce fou incapable de se défendre fait un coupable idéal ! Une seule scène montre qu’entre la vieille femme et le fou, ce n’était peut-être pas si simple que cela. Mais la scène est trop brève pour qu’on puisse affirmer avec certitude qu’elle correspond à la réalité plutôt qu’à une hypothèse formulée par Ma Zhe afin de justifier sa traque du fou.


Autre point forcément révélateur, le chef de Ma Zhe l’informe que le cinéma du coin ferme ses portes faute de spectateurs. Du coup, le commissariat y prend ses quartiers. Cela apporte davantage d’espace, mais dans un lieu pas spécialement adapté. Interprétation, le cinéma n’intéresse plus grand monde, dans une société tournée vers le pragmatisme. Probablement aussi qu’on prend des décisions sans évaluer tous les points à considérer. Et puis ce titre qui annonce que « Seule la rivière coule » (et le film, alors ?) il va avec l’extrait de Camus présenté dès les premières images et qui évoque l’incompréhensible destin. Le réalisateur filme donc l’époque où il est né (à rapprocher de la scène finale ?) avec des points caractéristiques et le regard désenchanté de celui qui porte en lui la notion de l’absurdité de la vie et du destin.


Quant à la séquence finale, elle se situe un an après la fin de l’enquête et l’obtention d’une médaille pour Ma Zhe, donc la reconnaissance de la société. La femme de Ma Zhe a accouché et les heureux parents font prendre son bain au bébé. Quand il tourne la tête vers la caméra, l’impression d’abord rassurante d’un regard normal laisse finalement une impression de malaise, car le bébé nous fixe.


Il est donc regrettable que ce film élaboré avec un soin remarquable sur certains points (techniques notamment), déçoive sur d’autres points, de scénario essentiellement, laissant la place à de multiples interprétations sans s’engager lui-même dans aucune. L’ambition intellectuelle affichée avec la référence à Camus ne compense pas de réelles insuffisances. Proposer quelques pistes de réflexion, pourquoi pas. Mais élaborer une œuvre autour de l’absurdité de la vie, c’est faire un pari à mon avis bien risqué. En effet, selon mon ressenti, on ne sait jamais vraiment où le réalisateur veut en venir et on finit la séance avec un sentiment de frustration.

Electron
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le 16 juil. 2024

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