[Critique à lire après avoir vu le film]

Des gamins jouent au gendarme et aux voleurs. Le policier en herbe traque ses petits camarades, ouvre plusieurs portes. L'une d'elle débouche sur... le vide, l'immeuble où jouent les enfants étant éventré. Cette image m'a évoqué Allemagne année zéro de Rossellini. La Chine des années 90 en pleine destruction comme le fut l'Allemagne suite à sa défaite ? Mais ce qu'on voit pourrait aussi évoquer un décor de cinéma. La porosité entre cinéma et réalité est l'un des grands thèmes du film. Justement, le commissariat où officie Ma Zhe déménage dans une ancienne salle qui vient de fermer puisque "plus personne ne va au cinéma".

La vieille femme qui vient de se faire tuer au bord de la rivière l'a probablement été par le déséquilibré qu'elle avait pris sous son aile puisque celui-ci se fait prendre l'arme à la main. Il y avait bien eu avant quelques pistes sérieuses, avec ce couple échangeant par cassette audio qui se retrouvait au bord de la rivière, puis avec ce coiffeur qui aimait se déguiser en femme, une créature aux longs cheveux bouclés ayant été aperçue à l'heure du drame. Seulement voilà : le coiffeur avait un alibi et il tentera de se suicider, avant d'y arriver finalement juste après avoir remercié Ma Zhe de l'avoir sauvé (logique). Quant au couple, monsieur a aussi été retrouvé mort, ce qui semble un peu le discréditer... Reste donc le fou. Mais au cinéma, la piste la plus évidente est rarement la bonne puisqu'il faut entretenir une tension narrative. Ma Zhe s'obstine donc à chercher, au grand dam de son chef qui vise avant tout un résultat rapide pour briller devant sa hiérarchie. Notre flic visionne pendant des heures les photos de l'affaire projetées en diapositives. Ce procédé daté s'accorde bien à la pellicule 16 mm utilisée par Wèi Shū-Jūn... : Ma Zhe a quelque chose de décalé par rapport à son milieu et à son époque - lui et son adjoint sont d'ailleurs les seuls à porter une tenue civile au milieu des uniformes, et c'est la fameuse Sonate au clair de lune de Beethoven, oeuvre pas vraiment autochtone, qui porte les scènes de crime. A la fin, ce sont ses images mentales qui prendront la forme d'un film, avant que la caméra ne s'embrase.

Si, comme moi, vous êtes déjà passablement perdu, Wèi Shū-Jūn va se charger de vous mettre définitivement la tête sous l'eau. Car Ma Zhe va tirer à quatre reprises sur le fou, décider suite à cela de donner sa démission avant de découvrir que son chargeur a toujours ses sept balles. On va le voir ensuite s'enfoncer dans l'eau, en ressortir pour mettre à terre un homme sur la rive, que l'on n'avait pas encore vu, c'était donc lui le coupable ? Puis se faire remettre le fameux grade 3 pour sa contribution à l'enquête, distinction qu'il était sûr d'avoir déjà obtenue. Ajoutez à cela, pour faire bonne mesure, son épouse qui avait rêvé la scène de meurtre mais qui ne s'en souvient pas (bien aimé le raccord sur le son, transformant la sonate de Beethoven en musique diégétique), cette même épouse qui découvre que le foetus qu'elle porte est susceptible d'être malformé à la naissance, un puzzle dont quelques pièces avait été jetées aux toilettes et qui a miraculeusement été terminé... De quoi sortir de la projection passablement frustré par cette pelote d'hypothèses impossible à débrouiller. En tout cas pour moi. J’aurais bien aimé, moi aussi, pouvoir reconstituer le puzzle dont tant de pièces ont été jetées dans la cuvette.

Wèi Shū-Jūn a-t-il voulu marcher sur les terres d'un David Lynch, l'esthétique si personnelle de l'Américain en moins ? Dans les pas d'un Bong Joon-ho et son Memories of murder, en plus embrouillé encore ? Sur les traces du Decision to leave de Park Chan-wook, en moins stylisé ? Son film convainc moins que ces (possibles) modèles. Et, pour me fâcher définitivement, les protagonistes ne cessent de tirer sur des clopes, un cliché la plupart du temps nullement indispensable que je remiserais bien aux oubliettes, vu les dégâts à tous points de vue causés par cette addiction.

Restent tout de même de jolies choses : une nuée de balles de pingpong orange figurant le conformisme des masses auquel Ma Zhe se sent étranger ; l'image poétique d'un cinéma sans spectateur dont le plateau sert de poste de police ; quelques beaux plans, comme celui à ras d'une table en plexiglas, les scènes sous la pluie en pleine forêt, sans oublier la volaille qui braille devant une cabane forestière. Tout cela installe une atmosphère d'irréalité. On perçoit vaguement qu'une partie de ce qu'on voit se déroule dans la tête de notre héros. Vaguement, c'est bien là qu'est le problème. Heureusement, la beauté de la Sonate au clair de lune, jouée dans son intégralité à la fin du film, est, elle, bien plus limpide. Pas exclu que l'oeuvre de Beethoven, qui m'est familière depuis l'enfance, soit tout ce qui me reste de ce film dans quelques mois ou quelques années. Mieux que rien, sans doute, mais pas de quoi sauver le film.

Jduvi
6
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le 17 juil. 2024

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Jduvi

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