Il est des sujets que la fiction elle-même n’aurait pas su inventer : Onoda retrace la folle histoire d’un soldat japonais resté retranché 30 ans durant dans la jungle, persuadé que la guerre du Pacifique ne s’est jamais achevée, et que la Japon n’a pas capitulé. On pense à Underground et sa prolongation fallacieuse de l’Histoire, à la différence majeure que la tromperie n’engage qu’un seul homme, qui n’aura de cesse de se convaincre d’être resté dans le vrai. C’est donc avant tout un récit de solitude, sur la puissance avec laquelle le conditionnement façonne l’engagement d’un homme, jusqu’à modifier son rapport au réel.


Si Onoda est un film de guerre, il explore surtout le genre pour s’en distancer. Certes, les combats sont présents, tout comme la camaraderie militaire, la maladie et la tension face à l’ennemi. Mais le véritable sujet se loge avant tout dans l’imaginaire d’un homme qui bifurque dans une guerre secrète pour laquelle on l’a programmé : la disparition des camarades, la raréfaction des signes extérieurs du conflit instaurent un nouveau climat qui laisse libre cours à la singularité de sa mission. Dès lors, tenir la position relève d’un engagement qui transcende toute la difficulté de l’existence. Onoda fait de sa vie une devise, une abstraction dans laquelle il parvient à trouver les ressources pour survivre.


Et c’est là que le film trouve sa singulière ligne de crête. Le français Arthur Harari, dont c’est le deuxième film après la petite réussite qu’était le thriller Diamant Noir, fait ici preuve d’une ambition gigantesque, en s’attaquant à une vaste fresque de 2h45 intégralement en japonais, gommant toute trace de sa présence ou de sa culture, comme en écho à l’expérience hors norme de son personnage. Sa mise en scène poursuit un itinéraire de délestage par lequel l’individu s’enfonce dans la jungle pour y trouver les signes que le monde des hommes ne lui donne plus. La raréfaction de la nourriture, l’isolement croissant laisse à la nature le premier rôle, dans une végétation luxuriante et dévoratrice qui rappelle l’odyssée à la dérive d’Aguirre ou l’enfoncement à l’écart de la civilisation d’Apocalypse Now : la nature n’est pas l’Eden salvateur, mais un univers immanent avec lequel il faut composer, et dont la profusion annihile le silence qu’on croyait y trouver. La lenteur du film se justifie donc pleinement : il ne s’agit pas seulement de matérialiser le temps démesuré passé dans la jungle par le soldat – géré par ailleurs avec une grande aisance dans le recours aux ellipses d’une fluidité évidente -, mais d’accompagner une conscience qui se reconstruit presque dans un état d’hibernation.


Le récit n’en est pas pour autant une pure robinsonnade consentante : le monde bruisse autour, que ce soit par le retour des paysans philippins, ou les annonces officielles faites aux soldats n’ayant pas battu le rappel. Une nouvelle épreuve pour le soldat, qui y verra l’occasion de montrer un véritable héroïsme en restant fidèle à son illusion. Une forme, en somme, de conspirationnisme maladif qui le mène à relire par son prisme clivé tout ce que la radio ou les journaux qu’on lui a livrés peuvent apporter comme preuve. Les retours dans le passé légitiment un état d’esprit, et se révèlent les seules véritables échappées d’un homme incapable de vivre au présent, dans une lecture fine de l’embrigadement et de la question fondamentale de l’honneur – particulièrement pour un soldat qui n’a pas réussi aller au bout d’une proposition de mission kamikaze, et qui voit dans la longévité de sa mission une forme d’expiation.


Par cet héroïsme absurde, par ce rapport à un environnement avec lequel l’individu fait corps, par l’étiolement progressif du sens et de la durée, Onoda est un film hors du temps. Il l’est d’autant plus par sa facture et son souffle, qui le font atteindre un classicisme qu’on croyait avec regret appartenir à une époque révolue.

Sergent_Pepper
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le 22 juil. 2021

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