Une épopée humaine d’une rare intensité

Réalisé par Arthur Harari, Onoda - 10 000 nuits dans la jungle est un film franco-japonais qui retrace la fascinante et tragique histoire vraie de Hiroo Onoda, un soldat japonais envoyé sur une île des Philippines pendant la Seconde Guerre mondiale, et qui, refusant de croire à la reddition de son pays, continua à se battre pendant près de 30 ans. Avec une durée imposante de près de trois heures, le film se déploie comme une épopée intime et psychologique qui interroge la loyauté, la résistance à la réalité et la dévotion aveugle aux idéaux militaires.


Onoda est un film captivant et nuancé qui explore avec profondeur et humanité la psychologie d’un homme isolé dans son propre monde, à la fois victime et acteur de son destin. Arthur Harari réussit un tour de force en créant une œuvre à la fois contemplative et haletante, où l’attente, l'obsession et la survie deviennent les moteurs d'une réflexion universelle sur la nature de la guerre, du devoir et de l'illusion.


Le film raconte l'histoire de Hiroo Onoda, un jeune soldat japonais formé pour mener des missions de guérilla et qui, en 1944, est envoyé sur l'île de Lubang aux Philippines pour résister à l'avancée des troupes américaines. Alors que la guerre prend fin avec la capitulation du Japon en 1945, Onoda, comme d'autres soldats isolés à travers le Pacifique, refuse de croire à la défaite. Convaincu que la reddition est un stratagème ennemi, Onoda continue de mener une guerre solitaire avec une poignée de camarades, persuadé que ses supérieurs viendront un jour le chercher pour reprendre la lutte.


Onoda est un film sur l’attente, sur le décalage entre la perception d’un individu et la réalité du monde qui l’entoure. Pendant 30 ans, Onoda mène une existence de reclus dans la jungle, coupé de la modernité et du déroulement de l’histoire. Son obstination à ne pas accepter la fin de la guerre et son refus de renoncer à son devoir le poussent dans une spirale de survie, où les années s’écoulent sans que l’idée même de la paix ne l’effleure. Harari traite cette histoire non pas comme un simple fait divers historique, mais comme une épopée humaine qui touche à des thèmes universels tels que le déni, la solitude et la fidélité à des idéaux.


Le récit est fragmenté en plusieurs chapitres qui couvrent les différentes étapes de la vie d'Onoda dans la jungle, de ses premières années de résistance active avec ses compagnons à ses derniers jours en tant que survivant isolé. Cette structure permet au film d’évoluer de manière progressive, en capturant à la fois la lente désintégration psychologique du personnage et l’intensité de son engagement à la mission qu’il s’est lui-même fixée. Loin d’être une simple aventure militaire, Onoda est une exploration de l'isolement mental et physique, et de la capacité de l'homme à se construire des réalités alternatives pour échapper à la vérité.


Hiroo Onoda, interprété dans sa jeunesse par Yuya Endo et dans ses dernières années par Kanji Tsuda, est un personnage à la fois fascinant et tragique. C’est un homme qui incarne la dévotion totale à un idéal, au point de sacrifier sa propre vie à une cause perdue. Formé par un supérieur charismatique à ne jamais se rendre et à ne jamais accepter la défaite, Onoda devient le produit de cette éducation militaire rigide, où l’honneur et le devoir surpassent toute forme de doute ou de réflexion individuelle.


Yuya Endo, dans le rôle d’Onoda jeune, incarne parfaitement l’évolution du personnage, passant d’un soldat déterminé à un homme dont la réalité s’effondre peu à peu sous le poids de l’illusion. Au fil des années, alors que ses compagnons meurent ou abandonnent, Onoda s’enferme dans une vision de plus en plus paranoïaque et solitaire de son devoir. La jungle, avec son hostilité et son isolement, devient le théâtre de son combat intérieur, où la lutte contre l’ennemi extérieur se transforme en une lutte contre la vérité.


Kanji Tsuda, qui joue Onoda dans ses dernières années, offre une performance tout aussi poignante. L’homme vieillissant, usé par des décennies de survie et d’attente, incarne la folie douce de cette résistance inutile. Son regard vide et son corps affaibli racontent une histoire de dévouement dévorant, où l'identité d'Onoda est désormais indissociable de la guerre qu'il mène contre une réalité qu'il refuse d'accepter. L'intensité du jeu d’acteur rend palpable le poids des décennies écoulées, marquant Onoda d’une force intérieure impressionnante mais aussi d’une immense tristesse.


La jungle philippine, magnifiquement filmée par Harari et son équipe, devient un personnage à part entière dans Onoda. Cet environnement hostile et implacable n'est pas seulement un décor pour les exploits du soldat ; il symbolise également son enfermement mental. La nature, avec sa végétation luxuriante et ses dangers cachés, est à la fois l’alliée et l’ennemie d’Onoda. Elle l'abrite et le nourrit, mais elle le piège aussi dans une existence où le temps semble s’arrêter.


La manière dont Harari filme la jungle reflète l’évolution intérieure de son protagoniste. Au début, la forêt est dense, vibrante et pleine de vie, reflet de la vigueur et de la détermination d’Onoda. Mais à mesure que les années passent, la jungle devient de plus en plus étouffante, semblant absorber le protagoniste dans une boucle temporelle sans fin. Cette utilisation symbolique du paysage est l'une des grandes forces visuelles du film, où chaque élément de la nature participe à la création d’une atmosphère à la fois oppressante et mystique.


Les scènes de chasse, de traque ou d’embuscade, souvent filmées avec une tension palpable, mettent en lumière la dualité de la jungle : elle est à la fois le champ de bataille et le sanctuaire d'Onoda. Les plans larges, où l'homme paraît minuscule face à l'immensité de la nature, renforcent l'idée que, malgré sa détermination, Onoda est un être insignifiant perdu dans une guerre qu'il est le seul à mener encore.


L’un des thèmes centraux de Onoda est le refus de la réalité, une thématique qui résonne particulièrement avec notre époque où les croyances et les faits s'opposent parfois violemment. Le film ne se contente pas de raconter l’histoire d’un homme incapable d’accepter la fin de la guerre ; il montre aussi comment la foi aveugle dans une mission, un idéal ou une autorité supérieure peut mener à l’auto-destruction.


Onoda incarne cette figure de l’homme qui, par loyauté et fierté, refuse de reconnaître la vérité. Harari traite ce thème avec beaucoup de subtilité, évitant de juger son personnage de manière simpliste. Onoda n’est ni un héros ni un fou ; il est un homme perdu dans ses croyances, incapable de trouver un chemin de retour vers la réalité. Le film explore cette question avec une grande sensibilité, montrant à la fois la grandeur et la tragédie de l’obsession d'Onoda.


Le refus de la réalité n’est pas seulement celui d’Onoda, mais aussi celui de ses camarades, qui, chacun à leur manière, essaient de maintenir l’illusion d'une guerre encore en cours. Leur isolement, tant physique que psychologique, les pousse à créer une vérité alternative, où la guerre n’est jamais terminée et où ils sont les derniers remparts contre un ennemi invisible. Cette dynamique collective de déni renforce la dimension tragique du film, où l’obsession finit par détruire non seulement des vies, mais aussi des vérités.


La réalisation d'Arthur Harari est à la fois sobre et immersive. Loin des effets spectaculaires, il adopte une approche presque documentaire, qui colle à la réalité de la survie dans la jungle tout en laissant place à une dimension symbolique et introspective. Le rythme du film, lent et contemplatif, permet de ressentir pleinement le poids du temps qui s’écoule, et de s’immerger dans la psyché des personnages.


Les dialogues sont rares, laissant place à une narration visuelle où les gestes, les regards et les paysages racontent plus que les mots. Harari réussit à maintenir une tension palpable tout au long des trois heures du film, sans jamais tomber dans le piège de l'ennui. Chaque scène semble pesée avec soin, contribuant à créer une atmosphère de plus en plus oppressante à mesure que les années passent et que la situation d'Onoda devient de plus en plus absurde.


La bande-son, discrète mais évocatrice, ajoute à cette sensation de suspension temporelle. Elle accompagne les moments de tension, mais aussi les instants de contemplation, où Onoda semble perdu dans ses propres pensées, à la fois conscient et aveugle à sa condition.


Onoda - 10 000 nuits dans la jungle est une œuvre fascinante et profondément humaine qui interroge les notions de loyauté, de foi et de refus de la réalité. Arthur Harari signe ici un film d’une rare intensité, à la fois contemplatif et épique, où la beauté des paysages contraste avec la tragédie intérieure d’un homme prisonnier de ses propres croyances.


Porté par des performances d’acteurs poignantes et une mise en scène immersive, Onoda est un film qui touche à des questions universelles sur l’identité, le temps et l’illusion. C’est une œuvre qui, bien que ancrée dans un contexte historique particulier, parle à toutes les époques et à tous les spectateurs, invitant à réfléchir sur la manière dont nous nous confrontons — ou non — à la réalité de notre propre existence.

CinephageAiguise
9

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il y a 15 heures

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