En 2010, Laurent Binet publie HHhH, un roman qui recevra le Goncourt du premier roman et qui fait le choix de retracer parallèlement les parcours de Reinhard Heydrich d'une part et du tandem Jozef Gabčík-Jan Kubiš d'autre part, jusqu'à leur fatale rencontre, jusqu'à l'assassinat qui scellera leurs destins croisés, pour pousser jusqu'à une barge symbolique où la postérité incarnée par Laurent Binet ressasse et repasse les événements aux rayons X infinis des vestiges du passé.
En 2016 et 2017, le cinéma tire deux films d'HHhH.
Le premier, qui prend le titre prétendument voulu à l'origine par Laurent Binet, Opération Anthropoid , passe inaperçu, entre autre parce qu'il ne se réclame pas d'HHhH, parce qu'il n'a pas l'ambition de l'adapter.
Le second, HHhH, comme son nom l'indique, prétend adapter l'oeuvre de Laurent Binet et bénéficie d'une publicité tapageuse.
Tous deux disposent d'un bon réalisateur, d'une bonne musique, d'un casting relativement haut en couleur.
HHhH, comme on peut le lire ailleurs (https://www.senscritique.com/film/HHh_H/critique/124772227)
est une adaptation en demi-teinte du roman de Laurent Binet, le dépossédant de toute son originalité, l'adaptant en superficie, en prenant parfois même un parti contraire à celui du récit.
Opération Anthropoid, quoiqu'il n'ait jamais aspiré à la chose, n'apparaît évidemment pas comme une adaptation plus complète: il fait le choix de donner la primeur à Jozef Gabčík et Jan Kubiš.
Pourtant, par bien des aspects, presqu'inconsciemment, il ressemble davantage au roman de Binet, s'en éloignant, s'y opposant mais allant dans les détails du texte, à l'image de l'atterrissage des deux héros (la blessure, le berger - quoique d'obédience contraire au roman) ou du final dans l'église (là où HHhH refuse les morts séparées des deux complices de l'Histoire et du roman pour lui préférer une mort unie et symbolique, Opération Anthropoid respecte ce final plus réel et triste, sans pour autant s'interdire un petit instant de poésie où la femme devient l'allégorie de la vie, de l'instinct de survie). Si Opération Anthropid donne la part belle aux deux parachutistes et à leurs camarades, il présente bien aussi Heydrich en filigrane en début et fin de métrage, si bien que le lien avec l'oeuvre de Binet naîtra forcément dans l'esprit du lecteur-spectateur. Par-delà tous ces éléments de comparaisons, les affiches même semblent trahir une plus grande similitude entre l'HHhH de Binet et le film de Sean Ellis: l'affiche du film de Cédric Jimenez se contente de copier, détourner la couverture de l'édition Livre de poche d'HHhH, remplaçant l'effacement de la tête d'Heydrich par une cible sur la tête empreinte d'ombre de Jason Clarke, l'affiche du film de Sean Ellis pose les deux héros sur fond du profil froid d'Heydrich, résumant à la perfection l'un des deux aspects majeurs du livre.
Les deux aspects du livre: raconter l'attentat contre Heydrich en faisant le récit des vies des ennemis qui vont se heurter lors de l'attentat, comme dans un western historique, et revenir sur les éléments du récit pour les ausculter, dans un souci d'historicité la plus juste possible - ou du moins ainsi feinte.
Et ce deuxième aspect est en partie plus présent dans Opération Anthropoid: le souci d'historicité est là, criant dans la juxtaposition du véritable Heydrich sur un extrait d'archive et de son interprétation - certes fugace - par un Detlef Bothe (Spectre) plus vrai que nature (il faut dire que le pauvre est abonné à ce rôle d'Heydrich auquel il ressemble tant). À comparer les Heydrich, Gabčík et Kubiš des films et des événements réels, force est de noter que ceux d'Opération Anthropoid ressemblent énormément à ceux de l'Histoire, ceux d'HHhH, tenant d'une caricature romanesque.
Or, c'est là, justement, que résident le bât blessant d'HHhH et le génie d'Opération Anthropoid: les vedettes du film de Jimenez, crise de jeunisme oblige, ne ressemblent que de loin à leurs modèles et se promènent dans un film aux décors lisses, trop poli, trop international quand le film d'Ellis réussit la gageure de faire ressembler ses vedettes - parmi lesquelles les plus que notoirement connus Cillian Murphy (vedette fétiche de Nolan) et Jamie Dornan (le Grey des Fifty Shades) - à leurs modèles et, moins lisse, plus sombre, plus cruel, plus anxiogène mais aussi plus géographiquement typé, permet une véritable immersion, une immersion plus crédible et passionnante. À en oublier la présence de têtes familières comme celles de Toby Jones, de Charlotte LeBon ou, pour les plus habitués au petit écran britannique, Harry Lloyd.
Opération Anthropoid est donc, incontestablement, à l'instar de l'encore moins réputé Opération Lidice, un autre HHhH des années 2010. Et sans doute le meilleur.