Lien pour la critique complet sur mon blog : Oppenheimer de Christopher Nolan, l'éternel obsession d'un créateur.


Dernièrement, entre un Interstellar et un Tenet, Christopher Nolan se montre de plus en plus préoccupé et songeur sur l’avenir du genre humain : entre le désastre écologique frappant une Terre en train de mourir dans son film spatial de 2014 et la crainte d’une nouvelle arme d’un nouveau genre dans Tenet avec ce concept de temps rembobiné, l’auteur de la trilogie Batman se montre de plus en plus engagé et impliqué dans les changements que connait notre monde en tirant sur la sonnette d’alarme. Tout en restant fidèle à ses qualités habituelles en proposant toujours une expérience à part de film en film, même avec des résultats plus inégaux tel que Tenet.


L’optique est identique avec Oppenheimer ou, pour la première fois, Christopher Nolan se tente à l’exercice du biopic. Biopic qui est un genre très codifié et même académique le plus souvent, en témoigne les films sélectionnés souvent aux cérémonies les plus populaires ces dernières années (et qui ne sont pas toujours les plus dignes d’intérêt). Bonne nouvelle, ça n’est pas le cas avec Nolan, mauvaise nouvelle, Oppenheimer est l’un de ces films très compliqués à étudier à chaud tant il déborde de matière : pas tout à fait de la même manière qu’un Spiderman Across the Spider-Verse, cela dit comme le film Spiderman de cette année l’expérience cinéma est vivement recommandé.


Pourtant, je vais être transparent avec vous, la première heure m’est apparu comme l’une des plus chaotiques et maladroites de la carrière de Christopher Nolan : le cinéaste britannique a probablement voulu condenser autant que possibles les rencontres, les connaissances et les expériences de Robert Oppenheimer dans le domaine de la physique quantique et sur son apport dans le domaine sur le sol américain après avoir voyagé en Europe de la fin des années 20 jusqu’au milieu des années 30. En plus d’aborder également les prises de positions politiques de cette personnalité (il n’est pas communiste mais reconnait et valorise certaines idées du communisme et côtoie même des communistes, et ça sera un détail primordial à relever qui l’accompagnera toute sa vie et sur tout le film).


Sauf que Nolan jongle (trop) régulièrement entre scènes courtes (les rencontres d’Oppenheimer, le retour aux USA, les rencontres lors de fêtes privées, la relation passionnelle et brève avec Jean Tatlock, le ménage compliqué avec sa femme, etc…), l’interrogatoire subie par Oppenheimer par le comité judiciaire spéciale montée contre lui, et le passage de Lewis Strauss en tribunal durant la période ou le maccarthysme s’impose sur le sol américain avec la chasse aux communistes et la guerre Froide qui pointe. Au mieux c’est à la limite du digeste, au pire on est tellement bombardé d’informations que ça en est assommant et brouillon.


Pour dire, j’ai tellement dû encaisser et imprimer pendant cette heure que je me suis retrouvé à lutter contre une somnolence passagère, ce qui ne m’arrive pourtant jamais avec Nolan au cinéma (pas même avec Inception que j’ai dû revoir plusieurs fois avant de pleinement l’apprécier). On en revient à l’éternelle lacune de Christopher Nolan à balancer de l’information et de long discours explicatifs mais avec une difficulté de dosage qui peut légitimement irriter les moins patients. Tenet battait un record en matière de lourdeur, et bien malheureusement Oppenheimer en souffre aussi (ce qui est assez frustrant quand on sait qu’avec Dunkerque, Nolan avait réussi son pari haut la main de miser sur le visuelle et l’esthétique pour prouver ses talents de narrateur). Et le montage dirigé par Jennifer Lame n’est pas toujours des plus fluides de ce côté-là non plus.


A partir de la deuxième heure, lorsque Christopher Nolan se focalise sur les avancées dans le domaine de la physique quantique, les recherches à venir du futur père de la bombe A et surtout son rapport compliqué sur le plan politique, le biopic trouve un rythme de croisière plus équilibré, moins étouffant et commence à pleinement rentrer dans le cœur même des thématiques que va aborder Oppenheimer et ce fameux « Projet Manhattan ». Lentement mais sûrement, cette course à la bombe va petit à petit dévoiler les mauvais spectres des USA de l’époque (la chasse au communisme, l’espionnage, la course à l’armement, la légitimité d’Oppenheimer comme chef de projet), mais va lentement mais sûrement mener Oppenheimer et ses collaborateurs (tous des physiciens et scientifiques ayant réellement existé) à se questionner sur l’importance de cette arme et surtout les répercussions à l’échelle mondiale qu’elle aura.


Les allers-retours entre les interrogatoires du comité et l’évolution des recherches dans le Nouveau-Mexique sont beaucoup moins maladroits, le travail du chef opérateur hollandais Hoyte Van Hoytema se voit et se ressent avec un travail de mise en lumière remarquable et surtout un aspect expérimental sur les visions de neutrons et protons du physicien qui flattent les yeux, l’ombre de la chasse aux sorcières appelé le Maccarthysme commence à pointer son ombre de plus en plus (imposant désormais au physicien de couper les ponts avec son premier amour, pour aboutir sur une conclusion tragique inéluctable) et les scènes d’interrogatoires se révèlent plus pertinent et moins intrusif.


Nolan se montre même avenant avec son cadrage lors des interrogatoires devant le comité. Surtout avec un plan qui revient souvent : celui qui met Oppenheimer ou un autre interrogé avec un ou une spectatrice derrière dans l’ombre, jugeant l’attitude de celui ou celle qui s’exprime : mine de rien, ce plan en dira long sur le rapport entre Kitty et Robert Oppenheimer et leur point de vue sur la situation. Sans oublier qu’il a fait le choix de filmer tout cela avec des caméra IMAX, souvent à courte focale et en gros plan pour faire ressortir le jeu de ses acteurs.


Un pari risqué en termes de choix technique mais réussi puisque, comme prévu, ce biopic ne rentre pas dans le conventionnel comme c’est trop souvent le cas ces derniers temps et réussit à développer un très profond sentiment d’inconfort et de crainte par la suite. Cillian Murphy, alias l’épouvantail dans Batman Begins et Thomas Shelby dans la série Peaky Blinders, surprend en ne cherchant pas forcément à imiter le vrai personnage ayant existé et en laissant davantage les émotions et les expressions prendre plus naturellement forme à l’écran. Sa performance est plus authentique et plus sincère, et son apparence d’homme ténébreux lui donne une carrure monstrueuse que je redécouvre d’ailleurs avec la série britannique Peaky Blinders en ce moment.


La multiplication de stars a beau déborder, personne n’est dévoré ou ombré par sa propre présence ou son propre nom : on s’amusera davantage à reconnaître avec plus ou moins de perspicacité tel acteur sur un rôle ayant existé, mais en mode caméléon et en apportant une petite contribution aux propos abordés par ce biopic. Dane Dehaan, Josh Hartnett, Casey Affleck, Kenneth Branagh, Jason Clarke, Rami Malek, même Matt Damon et Robert Downey Jr. qui campent les rôles principaux sont méconnaissables sans jamais être délaissé (à tel point que je les aurais peut-être pas reconnu sans leurs voix françaises respectives qui sont Damien Boisseau et Bernard Gabay).


Des physiciens et théoriciens liés de près en principe au monde de la physique quantique,


les avocats et juges américains ayant monté le comité pour discréditer Oppenheimer après la fin de la guerre lors du plein essor du Maccarthysme, en passant également par les connaissances,


pratiquement personne n’est laissé au hasard. Et s’il y en a bien un qui tire son épingle du jeu en dehors de Cillian Murphy, c’est Robert Downey Jr. qui revient de très loin après une traversée du désert suite à son chant du cygne en Iron Man dans Avengers Endgames puisqu’il incarne celui qui est le plus impliqué


dans la destitution et l’humiliation qu’il s’emploie à infliger à Oppenheimer pour l’écarter des recherches et le mettre sur liste noire, surtout dans le troisième acte.


Oppenheimer, c’est aussi la seconde collaboration avec Ludwig Göransson, le compositeur suédois avait déjà initié son premier passage avec Tenet mais en reprenant hélas les mauvaises habitudes d’Hans Zimmer avec une musique accablante et excessivement bruyante en plus de manquer de finesse. Celle d’Oppenheimer n’entrera pas non plus dans les mémoires, mais elle est déjà plus supportable qu’avec Tenet. Néanmoins ça reste assez vexant quand on sait de quoi il est capable sur les séries comme The Mandalorian ou sur Le Livre de Boba Fett, ou sur Black Panther Wakanda Forever.


En revanche, Oppenheimer est de ce films ou il y a heureusement, toujours, un moment où je me dis pleinement « ça y’est, ce film montre ce qu’il a à nous proposer et me fait m’interroger ». Ce moment, c’est une information simple mais concrète ou on nous dit :


les Allemands ont capitulé, et dés lors Oppenheimer commence à s’interroger sur l’intérêt de terminer ce qu’il a commencé, l’enjeu n’est plus le même. Et la part de conflit encore actif au Japon mènera ces 2 ans de recherches au bout à la scène renversante et ultra graphique du test de la fameuse bombe A. Parce que l’objectif change du tout au tout : ça n’est plus une course aux armes nucléaires pour les physiciens, le but est maintenant de terminer cette arme afin d’atteindre l’objectif même de la fin de cette guerre et de toutes les guerres potentielles.


Ce qui en vient par ailleurs à grandement justifier l’omniprésence des dialogues et des échanges de la part de tous les protagonistes de ce projet.


La mise en garde du pionnier de la mécanique quantique Niels Bohr auprès d’Oppenheimer quant à la préparation de l’Homme face à l’arrivée d’une telle arme, la légitimité accordée à Oppenheimer par le lieutenant-Général Leslie Groves quand seules les capacités du physicien étaient prises en compte, la course à la recherche face aux allemands rappelé un certain nombre de fois,


tout cela, ça va prendre une toute autre mesure à partir de ce moment là et aussi de la décision d’attaquer le Japon afin de mettre fin pour de bons aux hostilités… mais à quel prix, et surtout avec quelle degré de responsabilité au final ?


Par la suite, le plus beau pic du film est atteint en toute fin de second acte lors de l’ultime test de la bombe avec les risques impliqués (même minime), le fait qu’on ait une des rares séquences ou Nolan et Hoytema peuvent totalement se focaliser sur l’esthétique et le visuel plutôt que la parlote,


et surtout les réactions s’ensuivaient qui nous laisse dans un profond sentiment de dérangement : quand on voit les physiciens se réjouir, ne réalisant pas encore la gravité de ce qu’ils viennent de créer, on repense inévitablement à ce qui va se passer et aussi à la menace nucléaire sous le regard de Poutine à l’heure actuelle.


Quand on voit les gens du centre de recherche se réjouir durant le discours de Robert Oppenheimer, ce dernier prend pleinement conscience que même s’il n’est pas celui qui balance la bombe, il est celui qui lui a donné vie et aura à jamais le surnom de « père de la bombe atomique » étiqueté sur son visage et ça ne lui échappera pas (d’où la question : qui est vraiment responsable des victimes à Nagasaki et à Hiroshima ? Le lanceur, le créateur, l’état ?). Et ce malaise, il prendra aussi forme auprès de quelques physiciens conscient de l’entreprise à laquelle ils ont participé (les vomissements de l’un, les larmes d’un duo de physiciens). Ainsi qu’avec l’entretien du président Truman, ou les états d’âme du physicien transparent dans le jeu en toute transparence d’un Cillian Murphy, encore une fois, dans une de ses plus belles performances.


Et surtout, même si à première vue la dernière heure peut paraître déconnecté et très détaché du reste, elle reste dans la logique du biopic en abordant l’après création de la bombe avec cette approche intimiste autour de Robert Oppenheimer et les conséquences de ses états d’âme,


et surtout ses relations passées qui le desserviront pour de bon. Ce qui amène justement à l’audition de sécurité d’avril 1954, dont il fait partie des principaux orchestrateurs, afin de destituer le physicien de tout droit sur le développement nucléaire aux USA.


La dernière heure est intense et continue d’accentuer ce malaise de plus en plus avec cette transition entre la seconde Guerre Mondiale et l’époque de la chasse aux sorcières et de la Guerre Froide qui s’imposent inévitablement.


A laquelle on juge Oppenheimer non pas pour être un communiste ou un espion malgré les accusations et les soupçons lourds qui planent sur lui, mais pour ses relations et surtout à cause de sa prise de position consciencieuse vis-à-vis de sa création qui lui échappe de plus en plus au profil de personnes opportunistes ayant des intérêts d’ordre militaire sur la question.


Christopher Nolan lie et fusionne avec soin et minutie l’intimiste et l’infiniment grand avec cette enchaînement d’interrogatoires ou on passe aussi bien par des moments jubilatoires que par des confrontations d’opinions qui mettent à mal la situation d’un Oppenheimer particulièrement perturbé et même persécuté, osons le dire, parce qu’il essai d’agir avec conscience et a peut-être compris bien trop tard qu’avec la bombe atomique : peut-être a-t-il d’ors et déjà crée la fameuse réaction en chaîne qui condamnera tôt ou tard l’Humanité. Celle qu’on ne pourra pas contrôler ni arrêter et qui indiquera non pas la limite à ne pas franchir comme on est nombreux à vouloir le croire, mais l’instant où nous avons déjà été trop loin dans notre soif de recherche, de découverte et de contrôle sur quelque chose qu’on ne maîtrise pas... et qui nous guidera peut être à notre perte un jour (le plus tard possible, espérons).


Oppenheimer est indéniablement un film à découvrir au cinéma. Aussi bien pour l’intensité de son sujet liant l’intime à l’Histoire avec un grand H que pour son casting de fou, que pour les nombreuses interrogations soulevés et l’engagement dont fait preuve Christopher Nolan depuis quelques temps. Au premier visionnage, il est très difficile d’imprimer totalement l’ensemble des informations qui nous ont été partagés, il n’est pas exclu que je retourne le voir au cinéma prochainement. Mais en tant que tel, je pense pouvoir dire sans paraître prétentieux ou hors-sujet que ce film a droit à une place parmi les titres cinématographique de l’année 2023 : aux côtés de Babylon de Damien Chazelle, de Spiderman Across the Spider-Verse du studio Sony Pictures Animation, et de The Fabelmans de Steven Spielberg. Et il va de soi que je conseille l’expérience au cinéma car malgré ses maladresses et son chaos apparent en matière de découpage, il en reste pas moins un film majeur pour un auteur qui a le mérite de prendre continuellement la meilleure direction sur chaque projet qu’il entreprend. Et pour ça, moi je dis respect.

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le 19 juil. 2023

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