Christopher Nolan a lâché une véritable bombe. Réputé pour des scénarios complexes et demandant souvent plusieurs visionnages pour être compris, le réalisateur s’est cette fois penché sur un sujet historique, et pas des moindres, l’invention de l’arme nucléaire. Centré autour de Robert Oppenheimer, père de la bombe atomique, le film nous dévoile les coulisses de la course à l’armement nucléaire du côté des États-Unis, durant et après la seconde guerre mondiale.
On y découvre un génie physicien, “Oppie”, passionné et tourmenté, au point d’être pris de visions troublantes responsables de ses nuits blanches. Héros de sa nation, le film débute pourtant en noir et blanc, dans une petite salle où Cillian Murphy est entouré d’hommes le harcelant de questions.
Il ne s’agit officiellement pas d’un procès, mais ça en a tout l’air. Oppenheimer dévoile alors son histoire aux enquêteurs, qu’on découvre dans le même temps. Fait pour la théorie mais pas pour le labo, Oppenheimer a renforcé ses connaissances et sa réputation grâce à ses multiples voyages en Europe, jusqu’au jour où le général Groves, Matt Damon, vienne le solliciter pour une mission terrifiante: créer l’arme la plus destructrice ayant jamais existé.
Un choix surprenant, en vue de l’intérêt poussé du professeur pour le communisme et la révolution espagnole, qui lui joueront des tours par la suite, et notamment sa relation avec la membre du parti Jean Tatlock. Certes brillant, la naïveté de J.R Oppenheimer est toute aussi grande, ce qui explique le fait qu’il fonce tête baissée dans ce projet, malgré les avertissements de plusieurs de ses amis.
Oppenheimer réunit les “Avengers de la physique” pour combler le retard pris sur les Allemands à propos de l'arme nucléaire, et permettre aux USA d’en être le premier pays doté.
Il fonde la ville éphémère de Los Alamos, en plein milieu du désert, où est censée naître la mort. Accompagné non par Jean, mais par sa femme Katherine, Emily Blunt, et son fils, “Oppie” se lance corps et âme dans le projet Manhattan.
Confinés à Los Alamos, les chercheurs multiplient les hypothèses et les calculs pour produire une arme capable de mettre fin à la guerre, sans qu’elle ne détruise totalement la Terre. L’autre objectif est de devancer les pays rivaux, à savoir l’Allemagne, mais aussi la Russie, pourtant alliée des USA.
La guerre froide se préparait en effet déjà en coulisses de la Seconde Guerre mondiale. C’est lors d’une scène se déroulant après guerre que l’on apprend par Lewis Strauss (Robert Downey JR), homme politique influent, que la Russie a réalisé des essais atomiques après-guerre, preuve qu’une taupe était présente dans l’équipe de Los Alamos.
N’en sachant rien au moment des faits, Oppenheimer et ses collègues finalisent l’arme atomique après la mort d’Hitler. L’arme ne va donc pas servir ? Bien sûr que si. Face à des Japonais résignés à défendre leur territoire jusqu’au bout, le gouvernement américain voit l’utilisation de l’arme nucléaire comme le seul moyen de mettre fin à la guerre.
Christopher Nolan met parfaitement en avant l’impérialisme américain, marqué par des politiques se croyant légitimes de décider du sort du monde entier. La déshumanisation de ces vieux hommes blancs est symbolisée par un trait d’humour de très mauvais goût de la part du ministre de la guerre: Kyoto n’aurait pas été bombardée en raison de son influence culturelle, mais aussi car ce dernier y a passé son voyage de noces.
Face à l’approche de l'échéance, on assiste au déchirement de Robert Oppenheimer, partagé entre la volonté de défendre son pays, ou de voir des milliers d’innocents périr par sa faute. Ses avertissements n'ont d’ailleurs aucune influence auprès d’un pouvoir déjà décidé à user de l’arme nucléaire. L’essai de la bombe est d’ailleurs programmé au mois de juillet, avant la conférence de Potsdam, afin que Truman puisse faire pression sur Staline lorsqu'il le rencontre.
L’installation de la bombe et les minutes précédant le test sont insoutenables, tandis que le décompte se montre interminable. Puis arrive l’explosion, terrifiante, lumineuse, assourdissante (plusieurs minutes après), venant confirmer une victoire certaine aux États-Unis. La suite de l’histoire, on la connaît. Deux bombes atomiques sont larguées sur les villes d’Hiroshima, le 6 août 1945, et sur Nagasaki le 9 août.
Symbole de sa chute à venir, Oppenheimer est averti du largage de la première bombe à la radio, comme le peuple américain, seize heures après.
Héros de guerre, les remords et doutes du physicien vont vite changer la situation et amènent le pouvoir américain à vouloir le faire taire. L’audition d’Oppenheimer dans cette petite salle où se succèdent les témoins n’est en réalité qu’une mascarade orchestrée par Lewis Strauss, visant à incriminer le physicien pour le réduire au silence. Conscient de ce coup monté, “Oppie”, Katherine et son avocat s'obstinent à se défendre. La sincérité du génie américain lui permet d’être reconnu comme un honnête citoyen, mais son habilitation n’est quant à elle pas renouvelée.
Un coup réussi par Lewis Strauss ? Loin de là. Un ultime témoignage vient prouver ses manigances et le priver d’une place au gouvernement qu’il espérait tant. Sa rage suite à cette décision dévoile un homme aveuglé par le pouvoir et autocentré, persuadé notamment qu’Oppenheimer et Albert Einstein s’étaient disputés à son sujet plusieurs années auparavant, alors qu’ils parlaient d’un sujet bien plus important… la mise au point de la bombe H.
Comme l’avait prévenu Einstein lors de cette entrevue, Robert Oppenheimer fut calomnié par des instances prises au piège de leurs propres défaillances, avant d’être décoré des décennies plus tard pour son dévouement à sa nation.