La fission opère ! Une œuvre puissante, complexe, d'intérêt, qui traite d'un sujet fondamental à la croisée entre le divin et l'humain.
Christopher Nolan nous expose une narration non linéaire entrelaçant différentes périodes marquantes de la vie du Professeur Robert Oppenheimer, physicien américain qui s'est distingué en physique théorique puis comme directeur scientifique du Projet Manhattan, nom de code du projet de recherche qui produisit la première bombe atomique lors de la Seconde Guerre Mondiale. A ce titre, il est souvent surnommé "le père de la bombe atomique".
Dans une narration complexe et prenante, nous suivons les années du Professeur du département de physique de l'Université de Cambridge au laboratoire secret de Los Alamos, son audition de sécurité en 1954 influencée par le maccarthysme, et l'audition parlementaire de l'homme politique Lewis Strauss en 1959.
Le scénario est une adaptation de la biographie "Robert Oppenheimer : Triomphe et tragédie d'un génie", de Kai Bird et Martin J. Sherwin.
Au cœur de ce drame biographique, le développement de la bombe atomique.
L'œuvre soulève les implications relatives à cette arme de destruction massive, les questionnements de son "créateur", avec en toile de fond les enjeux de puissance dans le contexte de la Guerre Froide.
De façon opportune, le film fait sien la figure héritée du "Transmetteur du feu". Prométhée, dans la mythologie grecque, titan ayant dérobé le feu sacré de l'Olympe, en fait don aux humains. Zeus, furieux de cet acte, le condamne à être attaché à un rocher sur le mont Caucase, son foie dévoré par l'Aigle des montagnes chaque jour, et repoussant la nuit.
Sur ce thème, et au travers des questionnements d'Oppenheimer-Prométhée, l'œuvre traite des implications du développement de l'arme divine, celle relevant de la maîtrise des secrets du monde.
Est-ce juste de mettre ses capacités exceptionnelles au service de la création d'une arme de destruction massive ? Le développement de la bombe atomique et son utilisation sur les villes d'Hiroshima et Nagasaki étaient-ils justifiés par le contexte ? La bombe A est-elle un facteur de stabilité et de sécurité dans le monde, par un équilibre de la terreur ? Est-il légitime que l'être humain dispose de l'arme ultime, permettant la destruction de l'ensemble de son monde ?
Toutes ces questions, le film nous laisse imaginer les réponses que chacun des protagonistes y apportent, et en premier lieu Oppenheimer.
Cette histoire, notre Histoire, est servie par une réalisation superbe, Christopher Nolan s'étant imposé comme un grand, peut-être le plus grand réalisateur de notre époque.
La maîtrise technique est totale, la photographie servie par la forme de pellicule IMAX en 70mm.
Certains scènes sont à couper le souffle : l'essai nucléaire Trinity, en vaste fresque, a tout pour devenir culte. Les dialogues entre Oppenheimer et Albert Einstein sont particulièrement émouvants également.
La performance d'acteur de Cillian Murphy est d'une belle justesse. Celle de Robert Downey Jr. en Lewis Strauss est complexe et pertinente.
Bémol de cette partition sans fausse note, la narration dessert quelquefois le propos par un manque de précision. Le jeu d'Emily Blunt peut également relever quelquefois de la caricature, et l'actrice semble avoir du mal à s'effacer derrière le personnage.
Nolan et son équipe nous livre un grand film, à voir et à revoir, avec de la matière. Un film à l'image de son sujet.