Dans la catégorie chef d’œuvre, je demande A Clockwork Orange.
"Orange mécanique" en adaptation française ? Plutôt crever que de changer le nom du titre original anglais !
Fin d'année 1971, le monde du cinéma se prend une claque, que dis-je, un sacré coup de marteau derrière la nuque avec l'arrivée de ce film sur le marché. Stanley Kubrick avait ENCORE frappé ! Non content d'avoir sorti trois ans auparavant "2001: A Space Odyssey", le voilà qu'il remet le couvert avec cette tuerie venue d'ailleurs. Enfin venue de la plume de Anthony Burgess à la base. Tiré du roman éponyme dudit écrivain anglais, Kubrick nous propose une adaptation cinématographique dérangeante et bigrement osée pour l'époque. Censuré dans nombre de pays, réhabilité bien des années après, A Clockwork Orange bouscule les codes et la morale établie. Humour noir, satire, dystopian, violence, sexe, crime; tout y est. Tout est passé à la moulinette mais avec une grâce, une élégance, une majestuosité et une empreinte telles, que je considère ce film comme l'un des chefs d’œuvre du XXè siècle. Les plans-séquence, les travelling, les zoom in/out, l'ambiance qui vous happe et maltraite, resserre votre cerveau comme le fait un étau avec une pièce de bois, le jeu exceptionnel de Malcolm McDowell, le langage propre des personnages, et puis cette fameuse trame à effet inversé. On part d'un point A pour aller à un point B. Une fois le checkpoint du point B atteint, l'on repart progressivement et à la même vitesse vers le point A initial. Grandiose ! Magnifique ! Tout simplement exceptionnel. Ça n'a l'air de rien comme ça, mais c'est du génie. Et le génie court pendant les 2h15 du film.
Le génie c'est également une question de détails. Enfin de "détails", je m'entends. Je dirai une somme de clins d’œil.
D'abord cette 9ème symphonie de Ludwig van Beethoven qui est le leitmotiv et la pierre centrale dans A Clockwork Orange, cette magnifique symphonie pour laquelle le personnage principal Alex, voue un culte. Un culte pour Beethoven de façon plus générale. Elle le suit partout. Elle sera sa joie mais également son désespoir, la haïssant lorsqu'il sera dans le centre de réhabilitation. (ce qui lui causera une défenestration plus tard)
Avez-vous remarqué lorsque Alex se rend dans le magasin de disques ? arrêt sur images. Que voit-on ? un disque de "2001: A Space Odyssey" dans les bacs. Et qui a fait ce film, hein ? (cf. cité plus haut) Monsieur Kubrick se fait de l'auto-promo. Ni vu ni connu. Finalement ça tient la route cette histoire puisque A Clockwork Orange est une sacrée odyssée. Un voyage homérique dans les entrailles de la dystopie et du retour à l'envoyeur par une tentative forcenée de réhabilitation sociale.
Ce n'est pas qu'un film, c'est une œuvre à part entière. Pas juste 2h15 de cinéma. Oula non. Les esprits les plus simples et les jugements les plus hâtifs l'ont taxé et le taxent toujours d'apologie de la violence. Ces personnes-là sont soit très connes, soit très aveugles. Soit les deux; ce qui n'est pas incompatible cela dit. Bref, des milliers de raccourcis ont été usés jusqu'à l'os pour qualifier ce long métrage de sieur Kubrick. La première et principale raison selon moi est que ce film dérange. Oui il est très dérangeant dans les assises et postures mentales que l'on se fait d'un monde vertueux et exempt de crimes, exempt de quelconque violence, exempt de malaises. Car ce film cumule les malaises et la (les) violence. Non pas celle physique, mais la violence mentale et morale. C'est la pire de toute je pense. C'est d'autant plus criant qu'elle est mise à nue à travers l'évolution du personnage principal (Alex). D'abord malfrat, violeur et criminel (la fameuse "ultra-violence"), il se retrouve en prison puis dans un établissement expérimental afin de sortir de prison rapidement. Tout ceci n'est pas sans séquelles. Le film nous montre les deux cotés tranchants du couteau.
D'abord incarcéré (perte de liberté physique), puis placé dans un centre pour cobaye (violence visuelle, sensorielle et mentale), et relâché dans la nature après ces deux épisodes (retour dans la dure réalité en marche arrière, après avoir été "lobotomisé" et conditionné pour (re)devenir un être 'normal'). Voilà en quoi le revers de la médaille est douloureux. Il expose le personnage ainsi que le téléspectateur à une réalité à laquelle il ne s'attendait pas, ou plutôt à laquelle il ne voulait pas se trouver confronter.
De facto, sa liberté a un prix. Et quel prix ! Kubrick pose la question de la liberté sur la table, et la mise en miroir de nos actes. Jusqu'où peut-on aller ? Quelles peuvent en être les conséquences et les séquelles ? Doit-on regretter certains de nos actes qui nous conduisent devant l'inéluctable ?
Énormément de questions peuvent ici se poser. Une multitude d'interrogations et de questionnements sur ce qui fait acte à un moment donné. Le retour de manivelle, la perte du contrôle de soi, la dégénérescence mentale, la mise au ban (cf. les parents de Alex), être montré à l'index. En somme, ÊTRE COUPABLE DE.
"A Clockwork Orange" est extrêmement complexe dans son approche psychosociologique, pathologique et sociétale. Ce film l'est aussi du coté cinématographique, avec toutes les techniques employées, le jeu des acteurs, les scènes de huis clos étouffantes, pesantes et malfaisantes, les cadrages savamment choisis, ainsi que les différents genres qui y figurent (violence, sexe, crime, dystopie, satire sociale, etc, etc).
A l'instar des films de David Lynch, ce film nous invite à nous poser une kyrielle de questions sur ce que nous sommes dans la société. Nos actes, nos repentirs, nos peurs, nos angoisses et nos perceptions.
A Clockwork Orange est une œuvre unique. Une expérience fabuleuse non pas sur la violence primaire physique, mais sur l'insidieuse et sournoise violence cachée du talion. Celle du châtiment social.
* CHEF D'OEUVRE *