[SanFelice révise ses classiques, volume 12 : http://www.senscritique.com/liste/San_Felice_revise_ses_classiques/504379 ]
Orange Mécanique souffre d'une mauvaise réputation. On le prétend violent.
Orange Mécanique n'est pas un film violent. C'est un film sur la violence. La violence est le sujet du film, mais ce n'est pas à proprement parler un procédé employé par Kubrick. Même il y a 40 ans maintenant, lors de sa sortie, ce film n'était pas si violent que ce que l'on prétend.
UNe fois que l'on a compris cela, on peut déjà se lancer dans le film sans trop de risque de se tromper de cible.
Il y a, bien entendu, la violence d'Alex et de ses droughs. Une violence qui, concrètement, nous est plutôt épargnée : Kubrick cherche plus à nous la faire ressentir qu'à nous la montrer. On voit concrètement assez peu de choses dans ce film.
La question, très vite, réside dans le rapport entre Alex et la société. Est-ce que cette violence déchaînée par le jeune homme est une façon de se démarquer de la société qui l'entoure, ou est-ce, au contraire, une façon de s'y conformer ? Traduction : dans quel état se trouve la société décrite par le film ?
La réponse apparaît assez vite : nous sommes dans un monde où tout est violent. Tous les rapports sociaux sont marqués par la violence. Violence entre Alex et ses droughs, violence entre les hommes et les femmes, violence entre classes sociales. Il n'y a qu'à voir les cibles privilégiées d'Alex : les riches, et les clochards. Et ceux qui sont les victimes sociales habituelles, les pauvres et les femmes.
La violence est aussi celle d'une société. Que l'animal de compagnie d'Alex soit un serpent est assez significatif : nous sommes dans une jungle. Et le changement de ton, à la fin de la première partie, ne doit pas nous tromper : la violence continue, sous une autre forme.
Car, en effet, après une première heure frénétique, le rythme se ralentit fortement et l'ambiance change catégoriquement lorsque Alex est emprisonné. Les plans sont plus longs, la violence physique disparaît presque entièrement. Et pourtant, elle est toujours là. La prison et les expérimentations sont deux formes de violence d'un État sur ses citoyens. Et voilà comment on se retrouve dans une même thématique mais avec des aspects différents.
Ici, la violence a un autre but : faire rentrer les prisonniers dans les rangs. Là où la violence d'Alex était antisociale, celle de la prison se veut "politique". Mais c'est de la violence quand même, la pire de toutes peut-être parce qu'elle est exercée par une institution politique qui est censée protéger contre la violence.
La déshumanisation fait partie du processus de la violence. Donner un numéro à la place d'un nom, faire perdre sa place sociale (Alex est éjecté de sa propre famille), mais aussi faire vivre dans un monde en ruine et des décors froids (qui, sous certains aspects, m'ont rappelé ceux de Tati dans Mon Oncle ou Playtime).
Tout le contexte incite à la violence. Et Alex est, à ce titre, plus une victime qu'un coupable. Victime expiatoire évidente dans la dernière partie du film, mais dès le début, lorsqu'il rentre chez lui, enlève ses faux cils et reste dans sa chambre, on retrouve alors le jeune ado qu'il devrait être.
Le film porte la marque incontestable de Kubrick. Son interrogation sur les limites de l'humain est présente au cœur d'Orange Mécanique. On y trouve aussi la froideur de sa mise en scène, une froideur indispensable car elle est seule garante d'un recul du spectateur face à ce qui est montré.
Et puis, il y a l'emploi de la musique qui, comme c'était déjà le cas dans 2001 et comme ça le restera jusqu'à Eyes Wide Shut, est un des acteurs essentiels du film. Le choix est donc tout sauf innocent. Il peut être ironique, comme l'Hymne à la Joie, de Beethoven, pour un film où la joie est singulièrement absente. Dans la première partie, on entend plutôt de la musique romantique (Beethoven, Rossini), soulignant des scènes qui insistent sur les émotions des personnages, alors que lorsqu'Alex est en prison, on entend plutôt des marches, de la musique plus officielle comme Pomp and circumstances.
Il y a, dans Orange Mécanique, trois choses qui ont du mal à passer pour moi. D'abord, son excès. Je ne pense pas que ce soit un défaut du film, ces excès sont parfaitement justifiés par les choix de mise en scène, mais avec moi, ça ne passe pas du tout.
Ensuite, il y a un message politique qui est asséné avec tellement d'insistance qu'au bout d'un moment, j'ai eu envie de dire à Kubrick : c'est bon, j'ai compris, passe à autre chose. Outre la violence, il y avait d'autres thèmes abordés mais trop vite abandonnés, comme les images et, par conséquent, le cinéma lui-même.
Enfin, et c'est relié au deux autres, j'ai trouvé ce film nettement trop long. J'ai commencé à m'ennuyer dans la deuxième partie et ça ne m'a pas lâché jusqu'à la fin.
Voilà donc un film qui me paraît surestimé, très bien interprété (au fait, vous avez vu qu'il y a Dark Vador ?) mais trop lourd et indigeste pour moi.
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