Étant donné que j'ai vu Les Pistolets en plastique avant ce film, je ne vais pas pouvoir m'empêcher de comparer, contre toute logique chronologique, le deuxième long-métrage de Jean-Christophe Meurisse, donc Oranges sanguines, à son troisième, au lieu de faire l'inverse. Et puis, je fais ce que je veux, nah...
Bon, comme dans Les Pistolets en plastique (que j'appellerai aussi "le troisième long-métrage" ou "le film suivant", ces deux périphrases me permettront d'utiliser un vocabulaire un peu plus diversifié !) , Meurisse donne les grandes lignes à ses interprètes et les pousse à improviser, tout en incorporant, dans des rôles secondaires, des figures familières, pour le grand public, parmi une distribution globalement peu connue. Ce qui accouche d'un résultat inégal, donnant régulièrement des séquences bavardes un peu trop longues et laborieuses, lors desquelles les acteurs et actrices en question peinent à trouver des idées efficaces, meublant comme ils le peuvent. L'exemple qui me revient le plus en tête est la discussion au lit du personnage de l'avocat avec sa maîtresse, durant laquelle j'ai été gêné par les coupures au montage bien visibles, comme si le cinéaste avait dû intervenir directement pour aider ses deux comédiens en train de patauger dans cet exercice compliqué. Et s'il est sûrement prestigieux d'avoir la possibilité d'inscrire le nom de Denis Podalydès sur l'affiche, le personnage qu'interprète ce dernier sert à que dalle, ralentissant à chaque apparition le rythme du long-métrage, mettant, au mieux, à la connaissance du spectateur des informations que celui-ci aurait pu facilement deviner par lui-même, au pire, s'épanchant dans des propos inutiles (débitant sans doute ce qui lui passait par la tête ou alors c'est Meurisse qui ne savait pas quoi lui offrir à jouer et qui a tenté de combler les trous du mieux qu'il le pouvait pour justifier la présence de son acteur !).
Le réalisateur a beaucoup mieux maîtrisé, dans l'ensemble, cette technique de mise en scène dans son film suivant, peut-être, en grande partie, parce que la distribution choisie était, cette fois, plus à l'aise avec ce style de direction.
Reste qu'il y a quelques moments épars de grâce, à l'instar des scènes avec le couple de vieux endettés (il faut bien souligner, dans ces rôles, qu'Olivier Saladin et Lorella Cravotta, sont excellents, sachant toujours inclure une délicate touche d'humour, y compris dans les instants les plus tragiques et touchants !), de la seule séquence avec Blanche Gardin, amusante en gynécologue, certes bienveillante, mais qui présente la réalité des choses sans le moindre ambage, tout en ayant du mal à digérer son gratin dauphinois du midi parce qu'il y avait des oignons dedans, ou de la première rencontre entre l'avocat (oui, celui susmentionné pour l'impro ratée… comme quoi… !) et sa jeune cliente (incarnée par Lilith Grasmug, qui s'avère être une belle révélation, en adolescence, attachante, qui se refuse à être écrasée par qui que ce soit... sans conteste un des points positifs du film à retenir !), dont on comprend et partage les mêmes sentiments contradictoires, qui ne peuvent que mener qu'à un fou-rire nerveux pour toutes les parties.
Bon (comme me l'avait déjà montré Les Pistolets en plastique !), le style Meurisse, c'est le portrait sans fard, amer (je vous laisse faire le jeu de mots vous-même avec le titre !), le tout parsemé d'irruptions bien trashs, d'une société médiocre, mesquine, hypocrite, ignoble, avec des caractères (que l'on souhaiterait moins proches de nous !), dont les destins sont, plus ou moins, lointainement liés. Ainsi, on peut assister aux délibérations d'un jury d'un concours de danse, dont les critères se basent plus sur l'inclusivité à tout prix et leurs préjugés à la con que sur la performance elle-même, ou encore à des médias léchant, avec délectation, le derrière encore intact d'un ministre. Et, comme, là encore, dans le troisième long-métrage, au cours de la seconde moitié, on a le droit, le temps d'une confrontation, à un énorme déferlement incontrôlé de violence (ici, on a un appareil électro-ménager qui sera remplacé, dans le film suivant, par un certain ustensile de cuisine, pour ce qui est d'aider à l'expression d'une bonne dose de sadisme !).
Et je tiens à mettre en avant que l'énorme déferlement de violence d'Oranges sanguines est bien mieux amené que celui des Pistolets en plastique (ce dernier semblant sortir d'absolument nulle part... je ne vais pas m'étendre sur ce point, je vous invite plutôt à lire ma critique de l'œuvre en question... ouais, je fais ma propre pub !).
En effet, là, Jean-Christophe Meurisse prend le temps, à travers la manière dont elle envoie chier le chauffeur de taxi belliqueux et sa façon très hard de faire l'amour lors de sa première fois, de présenter le personnage de la jeune fille (oui, celle susmentionnée !) comme pouvant être borderline. En conséquence, il est entièrement crédible que, juste après avoir subi un viol, au lieu de se comporter en victime apeurée et fuyant le plus vite possible les lieux de son supplice, elle tombe dans la rage la plus frénétique qui soit et ne pense qu'à se venger immédiatement et impitoyablement, non sans avoir hésité, d'abord, sur les outils à utiliser, tel le personnage de Bruce Willis dans Pulp Fiction.
Par contre, je ne trouve pas franchement crédible qu'un ministre, quand bien même, il serait en route pour assouvir ses pulsions de dégénéré, en se rendant à une partouze pédophile, irait, en cas de crevaison, s'adresser au premier gueux venu à la place de passer un coup de fil pour que le commissariat ou la gendarmerie le plus proche lui vienne en aide, avec force courbettes et de "oui, Monsieur le Ministre, à vos ordres, Monsieur le Ministre, c'est un honneur de changer votre pneu, Monsieur le Ministre !". Et je ne trouve pas crédible non plus qu'un maniaque sexuel irait prendre le risque de sodomiser, en toute connaissance de cause, sans le consentement du principal concerné, Monsieur le Ministre, vu les risques que cela peut lui attirer, alors que le faire sur le clampin moyen présente (a priori !) plus de chances de ne pas subir le moindre désagrément à la suite de ses actes.
Ce qui résulte (pour ce qui est, notamment, caché par la seconde balise spoiler !) d'une volonté un peu trop appuyée, tel un démiurge, du réalisateur (et ceci jusqu'à la conclusion !), allant contre toute notion de vraisemblance, de vouloir à tout prix récompenser les gentils (à une exception près !) et punir tous les méchants. Malheureusement, la vie, ce n'est pas comme ça que ça fonctionne (et non, si ma suspension consentie de l'incrédulité ne veut pas se déclencher, je n'y peux rien !).
Bref, en peaufinant un peu plus son casting, en enlevant quelques invraisemblances, pour la plupart, uniquement là parce que le metteur en scène avait la volonté absolue de se taper un ministre, Jean-Christophe Meurisse aurait pu obtenir un résultat bien meilleur, bien plus efficace et bien plus percutant.