Projeté lors de la septième édition du Festival International de la Roche-sur-Yon, Our Huff And Puff Journey de Daigo MATSUI est le premier film du réalisateur a être diffusé dans l’Hexagone. Sélectionné dans la catégorie « Trajectoires » – segment du festival s’adressant en priorité à un public adolescent composé de longs-métrages traitant de cette période de transition – le film s’avère être une véritable ode à la jeunesse et à la génération Y au travers de l’histoire de quatre amies de lycée, qui se lancent dans un road trip de huit cents kilomètres à vélo pour rejoindre Tokyo depuis Fukuoka. Le but de ce road trip, peu banal pour quatre jeunes filles de 17 ans, est de pouvoir assister au dernier concert de la tournée d’un groupe de rock, CreepHyp.



Our Huff And Puff Journey : Sur les routes du seishun eiga



Quatrième long métrage au compteur pour le japonais Daigo MATSUI, ancien metteur en scène pour le théâtre et réalisateur de clips pour le groupe de musique CreepHyp – dont il est question dans le film -, Our Huff And Puff Journey s’inscrit dans la continuité de ses précédentes réalisations qui traitaient, elles aussi, de thématiques proches des milieux étudiants ou lycéens, à l’image de Wonderful World End et de Daily Lives Of High School Boys.


Avec Our Huff And Puff Journey, Daigo MATSUI compose un véritable seishun eiga (trad. litt. cinéma de jeunesse), un genre cinématographique portant sur les différents excès et problèmes de la jeunesse et ayant tendance à traiter le sujet de manière sensationnelle (sexe, violence, etc..). Mais il adopte ici un ton plus léger et poétique, et n’hésite pas à faire appel à un autre genre cinématographique, plus international cette fois-ci, le road movie.


De plus, le réalisateur s’attaque à l’icône de la jeune lycéenne, qui possède une forte symbolique dans l’art japonais et représente bien souvent une forme de liberté insouciante. À l’instar de l’inoubliable Yōko dans Love Exposure interprétée par Hikari MITSUSHIMA, il va sans dire que les réalisateurs font souvent appel à de jeunes actrices très charismatiques pour interpréter ces rôles de lycéennes. Ainsi, le choix de Daigo MATSUI de caster des actrices non-professionnelles pour trois des rôles principaux – Sonoko INOUE, Reika ŌZEKI et Saku MAYAMA – pouvait surprendre dans un premier temps. Cependant, le choix s’avère judicieux tant les jeunes filles crèvent l’écran et semblent bien plus expérimentées que les acteurs principaux avec qui elles évoluent.


Our Huff And Puff Journey marque aussi le retour pour Daigo MATSUI à une histoire plus « traditionnelle », après avoir proposé avec Wonderful World End l’adaptation en long-métrage de deux clips vidéos de l’anti-idol, Seiko ŌMORI. En une heure et demie, le film impressionne par le réalisme dont il fait preuve en retraçant de manière crédible les différents états d’âme par lesquels de jeunes lycéennes en road-trip peuvent passer. Daigo MATSUI rappelle au spectateur de cette manière que l’adolescence est une période déterminante, basée sur des objectifs sur le court terme, durant laquelle l’amour, les rêves et les passions  restent portés par l’innocence de l’enfance.



Internet, réseaux sociaux et postmodernisme



Cependant, il ne suffit pas de parler de jeunesse pour qu’un film puisse embrasser aussi efficacement l’essence même de cette période charnière qu’est l’adolescence. Avec une trentaine d’année encore fraîche, le réalisateur montre qu’il connaît son sujet et que ses années folles ne sont pas si éloignées de ce qu’il est aujourd’hui. En phase avec la société dans laquelle il vit, Daigo MATSUI arrive à accorder une place importante aux réseaux sociaux dans son film et montrer l’importance qu’ils occupent dans la vie de la génération Y. Au-delà des réseaux sociaux, ce sont les nouvelles technologies en général qui rythment la vie de cette génération à l’instar de l’émouvante séquence de réconciliation entre les jeunes filles composée intégralement de dialogues par textos.


Cette place accordée aux nouvelles technologies et aux réseaux sociaux se remarque aussi par la réalisation adoptée par le réalisateur. Déjà coutumier de cet exercice de style avec l’utilisation de webcams dans Wonderful World End, Daigo MATSUI compose la majeure partie de son film de plans capturés à l’aide des portables des jeunes filles ou d’un petit caméscope qu’elles transportent avec elles. Avec l’utilisation de ces plans atypiques, le réalisateur instaure dans son film une esthétique oscillant entre le documentaire et la vidéo de vacances. Plus qu’un simple outil de réalisation, les portables et le caméscope deviennent quasiment le cinquième membre de ce voyage. Véritable point de vue subjectif, cet autre participant au road trip est sujet aux différents aléas du voyage qui risquent de limiter sa perception, comme lorsque les jeunes filles oublient de retirer le cache du caméscope ou d’appuyer sur le bouton REC. Outre ces plans, le réalisateur jongle avec des séquences plus traditionnelles, cinématographiquement parlant, offrant un visuel plus léché qui se distingue par son format d’image ainsi que par des couleurs plus travaillées. Ce second point de vue, plus omniscient, permet à Daigo MATSUI de capturer avec poésie et légèreté les moments de grâce des jeunes filles.


Si l’utilisation de ces deux procédés de captation a été l’un des principaux arguments de description de Our Huff And Puff Journey, c’est pourtant avec son propos simple et touchant que le film devient réellement intéressant. Traitée, bien souvent à tort, comme « bonne à rien », la génération Y est aujourd’hui au centre de nombreux débats sur la direction que la société humaine prend. Si dans l’Hexagone, les téléfilms télévisuels regorgent de mépris et de visions grossières de cette génération, de l’autre côté du globe, les seishun eiga adoptent plus aisément un point de vue plus objectif.


Sans émettre un quelconque jugement de valeur, Daigo MATSUI décrit avec justesse une génération perdue dans une société post-moderne où les rêves et les sentiments prennent le pas sur la raison et semblent les seuls à avoir encore du sens, et où Internet, les réseaux sociaux et autres nouvelles technologies constituent une échappatoire venant nourrir la vie réelle de ces jeunes. De plus, si d’un côté le réalisateur dépeint les désillusions constantes auxquelles se confrontent la jeunesse, leur manque d’objectifs concret sur le long terme et leur incapacité à rentrer dans les codes de leur société, de l’autre il semble porter en lui un espoir aveugle dans cette génération où l’innocence ne semble jamais se tarir.


Malgré un passage au Festival International de la Roche-sur-Yon, le touchant périple de ces quatre jeunes filles ne sera probablement plus jamais disponible dans en France et le seul espoir de revoir une réalisation de Daigo MATSUI sur les écrans français réside actuellement par une potentielle diffusion de Japanese Girls Never Die qui tourne actuellement en festival, notamment avec un passage fin octobre au Tokyo International Film Festival. En plus de marquer le retour de l’excellente Yū AOI en tant que personnage principal après sept ans de seconds rôles, ce cinquième long-métrage traite sous la forme de critique anarchique du sexisme au Japon, au travers du portrait d’une jeune femme disparue.


Ainsi Japanese Girls Never Die semble confirmer ce qu’Our Huff And Puff Journey démontrait d’ores et déjà, Daigo MATSUI est un cinéaste à la mise en scène intelligente qui n’a pas fini de surprendre son public en apportant une nouvelle vision de la jeunesse et s’annonce comme l’un des jeunes réalisateurs du cinéma japonais contemporain à suivre impérativement, aux côtés notamment de Ayumi SAKAMOTO, suzkikenta ou encore Kōhei IGARASHI.


Our Huff And Puff Journey est en somme un seishun eiga qui s’avère être parmi les longs-métrages les plus touchant et doux qui puissent se faire dans ce genre cinématographique, sans pour autant le révolutionner. Si les plus insensibles ou les plus médisants à l’égard de cette génération Y risquent de trouver les quatre jeunes filles immatures et incapables de se confronter à la société, nombreux seront ceux qui, de l’autre côté, connaîtront un sentiment de bonheur mélancolique les invitant à tout plaquer pour, eux aussi, vivre leurs rêves, aussi futiles qu’ils soient.


Critique publiée dans le webzine Journal du Japon

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le 5 déc. 2016

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Yerp Ono

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