1943, San Francisco. Alors que le dragueur de mines Caine s’apprête à reprendre la mer pour aller se battre dans le Pacifique, le capitaine Queeg (Humphrey Bogart) en prend le commandement. Rapidement, son comportement rigide et son refus constant de reconnaître ses erreurs, les rejetant sur les autres, alarment les officiers du bord. Tandis que l’officier responsable des transmissions Keefer (Fred MacMurray) veut voir en Queeg un malade mental et le décharger de ses responsabilités, le commandant en second Maryk (Van Johnson) est plus nuancé. Entre le capitaine Queeg et son équipage, la rivalité croît de jour en jour…
Edward Dmytryk est sans nul doute une des personnalités les plus fascinantes que connut Hollywood durant le XXe siècle. Tout d’abord, il connut une carrière sans précédent, gravissant un à un les échelons du cinéma, ayant commencé comme simple coursier pour la Paramount pour finir par signer quelques grands films dont la réputation n’est plus à faire (Ouragan sur le Caine, L’Homme aux colts d’or, Le Bal des maudits). Mais surtout, du fait de son attachement au communisme américain au début des années 1940, il fut une des cibles privilégiées des producteurs hollywoodiens dans leur chasse aux communistes, qui lui valut d’être en bonne place sur la tristement célèbre liste des Dix d’Hollywood. Il fut néanmoins le seul des Dix à revenir sur le devant de la scène après cela, au prix de dénonciations qu’il eut à porter sur la conscience de longues années durant.
C’est sans doute ce qui explique la réflexion dont témoigne son cinéma post-1947, et le tiraillement qui caractérise souvent ses personnages, du capitaine Queeg d’Ouragan sur le Caine au père O’Shea de La Main gauche du Seigneur, tous deux interprétés par Humphrey Bogart.
Ainsi, avec Ouragan sur le Caine, Dmytryk nous livre sans doute un de ses films les plus profonds, explorant avec une infinie justesse les rapports humains à bord d’un navire américain, et posant de nombreuses questions de fond, sur le commandement, l’honneur et la lâcheté. Je n'en ferai pas la liste ici, mais cette réflexion constante fait d’Ouragan sur le Caine un monument du cinéma, par sa capacité à taper juste à tous les coups, aidé en cela par un casting parfait en tous points, au sommet desquels trône le génial trio Humphrey Bogart-Van Johnson-Fred MacMurray, renforcé par un quatrième membre en la personne de José Ferrer. L’écriture des personnages, d’une intelligence rare, évite brillamment tout manichéisme, et même si on pourra trouver le personnage du capitaine Queeg pas assez nuancé (malgré deux scènes qui cherchent à le rendre plus humain), le jeu de Bogart compense amplement la faiblesse dont peut témoigner son personnage.
A travers ce récit d’un conflit entre un capitaine et son équipage, Dmytryk nous fait donc réfléchir sur le commandement et ses enjeux, nous rappelant que la fonction première d’un commandant – et finalement, de tout chef digne de ce nom – n’est pas de se faire aimer de ses hommes, mais de faire ce qui est juste. Dès lors, le responsable du conflit qui anime le Caine n’est pas seulement le capitaine Queeg, mais bien le lâche lieutenant Keefer, qui conteste de manière cachée tout ce que fait le capitaine, ainsi que le lieutenant Maryk et l’enseigne Keith, dont la passivité est finalement une forme de complicité avec la mutinerie. En cela, la magnifique tirade finale du lieutenant Greenwald est une immense séquence de cinéma, Dmytryk nous montrant que les apparences sont souvent trompeuses, les hommes d’équipage s’étant engouffrés dans la première vision qu’ils ont eue de leur commandant, l’enfonçant dès que possible au lieu de l’aider à se corriger et à bien diriger son navire. Il y aurait bien d’autres choses à dire sur cette œuvre d’une richesse incomparable, aux thématiques nombreuses, mais elle nous offre en tous cas une splendide réflexion, non dénuée d’une véritable émotion, sur le poids des responsabilités, nous rappelant que si ceux qui nous dirigent ont des responsabilités envers nous, nous ne devons pas oublier que nous en avons autant envers eux. Une superbe morale, superbement illustrée dans un film plus que bon : un film nécessaire.
Pour la petite histoire, et afin de prouver à quel point il est un homme de goût, c’est après avoir vu Ouragan sur le Caine, qui deviendra un de ses films préférés, qu’un certain Maurice Micklewhite décida de se faire connaître en tant qu’acteur sous le nom de… Michael Caine.